Une ruelle baignée de Soleil était le spectacle d'un bien étrange manège. Un promeneur solitaire marchait tranquillement, le nez levé vers le ciel. Il ne craignait pas les regards, car le chemin qu'il suivait, que seule sa propre logique pouvait comprendre, était désert.
- Mais où est-il donc passé ?
Réfléchissant à voix haute, il n'y avait aucune oreille indiscrète pour le surprendre. Abandonnant l'objet de sa quête indéterminée, il baissa les yeux, recouvrant bientôt son visage d'un chapeau à larges bords.
L'insouciant continua sa route, sans prêter d'attention au fait qu'il approchait d'une zone plus fréquentée, que quelqu'un d'autre aurait identifié être un marché... Il croisa bien des curiosités qu'il ignora, volontairement... ou pas.
L'elfe portait ses cheveux longs. Blonds, ils lui tombaient sur les épaules en une cascade aérienne, presque féérique. Il avait opté pour une chemise simple et un pantalon ample dans les tons ocres. En réalité, ils avaient dû être d'un brun plutôt sombre, mais les couleurs avaient passé avec le temps ou s'étaient délavées. Pieds nus, il foulait avec un bonheur enfantin la poussière de la ville. Son chapeau noir, porté avec une élégance retenue jurait de façon sympathique avec le reste du personnage.
Un choc. Le jeune homme se frotta le nez. Il se rendit enfin compte de la foule qui l'entourait.
- Pardonnez-moi...
Il esquissa une petite révérence et s'éloigna un peu gêné du poteau qu'il avait percuté.
L'elfe continua, suivi bientôt d'une ribambelle d'enfants qui s'amusaient à suivre les péripéties printanières de ce drôle de personnage. Après avoir renversé le panier d'une vieille dame, qu'il avait ramassé en bredouillant des excuses, puis remis le cabas entre les mains de sa propriétaire, qu'on accusa plus tard d'avoir volé un étal, failli écraser un chien qui se retrouva accroché aux cheveux d'une marchande de légumes, l'un des gamins se décida à l'aborder, il lui tendait une feuille de papier et une mine.
- S'il te plaît, dessine-moi un mouton !
L'elfe distrait marqua un arrêt, regardant le gosse au travers de la brume de ses yeux masqués par l'ombre de son couvre-chef. C'était un enfant plutôt banal, aux cheveux blonds et bouclés et au visage d'ange. Derrière lui, ses amis pouffaient déjà de la réaction du personnage à la tête dans les nuages. Celui-ci dévoila sous ses manches ternes des mains gantées de noir, qui se saisirent délicatement des objets tendus.
- Bien sûr...
Il resta un longtemps moment fixant la feuille blanche, en contemplation devant la perfection enneigée... Puis, semblant toujours fixer un objet bien plus lointain que le crayon, griffonna quelque chose, et rendit le papier à son possesseur initial. Ce dernier le regarda, l'air ahuri.
- Mais... ce n'est pas un mouton !
Il tourna le dessin vers son auteur, et il dût le reconnaître : sa gravure avait plutôt tout l'air d'une montagne... Seul un versant était visible, mais l'elfe en visualisait parfaitement l'autre côté. Une cité blanche et majestueuse le dominait, prenant pour lui des allures de soucoupe volante...
Le groupe qui suivait le meneur entoura le rêveur, qui ne s'en aperçut pas, jusqu'au moment où leur hilarité parvint à ses oreilles. Ils fronça légèrement les sourcils. Se moquaient-ils ? Si son dessin ne leur convenait pas, qu'il aillent voir quelqu'un d'autre... Il fit un pas en avant, n'écoutant plus les ricanements.
- Hep, Monsieur !
Nouvel arrêt.
- Oui, petit ?
Le "petit" serra les poings contre ses hanches, et le regarda, l'air défiant.
- Je ne suis pas "petit", je suis le plus grand de la maison !
Souriant de la facilité de la plaisanterie, l'elfe répliqua.
- Oui, le plus grand de la maison ?
Déstabilisé par l'humour déplacé de son interlocuteur, l'enfant renonça.
- Rien...
Il serra la feuille dans son petit poing tremblant, et s'éloigna. Attendri, l'elfe le rattrapa, courant après lui, juste l'espace de quelques pas. Il lui posa la main sur l'épaule, et se saisit délicatement du papier maintenant froissé, presque déchiré.
- Tu le veux, ton mouton, c'est ça... ?
Le garçon hocha silencieusement la tête, finalement peu importait le rire de ses copains. La lueur dans le regard caché de l'elfe avait changé, pour l'enfant, elle paraissait à présent réfléchie et sage. Il lâcha son bien, et redonna le crayon à l'adulte. Celui-ci crayonna à nouveau, beaucoup plus rapidement, puis rendit la feuille, sur le verso de laquelle apparaissait maintenant un petit mouton noir, dessiné à la va-vite. Un sourire béat se dessinait sous le chapeau.
- Voilà !
Le quémandeur regarda la feuille, encore plus stupéfait que la première fois. Mais voyant la joie simple de l'elfe, il décida de ne pas l'attrister...
- Il est quand même mignon...
Et à la réflexion, c'était vrai... Une douce mélodie résonnait aux seules oreilles de l'enfant, et le mouton dansait à son rythme, puis s'immobilisait à nouveau, sous l'œil bienfaisant et complice de son créateur.
- Merci...
L'elfe s'inclina devant l'enfant, puis s'en retourna sans plus un mot, visiblement à nouveau perdu dans la lune ou ses pensées, allez savoir...
- Hé ! Vous pourriez faire attention où vous allez !
L'elfe ne faisait même plus attention, et s'éloignait doucement de la place en marmonnant.
- Encore un poteau... Il y en a trop par ici...
L'indifférence de l'amateur, feinte d'après ses victimes, lui causeraient certainement du tort... Mais le jeune homme n'avait que faire du personnage grand et musclé qui marchait derrière lui, attendant le moment propice pour lui faire connaître sa présence...
Les ruelles se firent plus étroites, plus sombres également, et l'étourdi enleva son chapeau, qu'il accrocha à sa ceinture avec un soin non négligé. Lorsqu'il releva la tête, l'ombre au dessus de lui lui parut de mauvaise augure... C'est lorsqu'il se retrouva plaqué contre un mur, le visage de l'homme en face du sien, qui sentait la sueur et les égoûts qu'il comprit.
- Vous aurais-je... percuté... par inadvertance... ?
Le regard grimaçant lui adressa un sourire mauvais.
- T'as tout pigé, petit malin...
Déplaçant sa tête sur le côté, l'elfe évita le premier coup, mais pas le poing dans son estomac, qui lui coupa le souffle et le plia en deux. L'homme s'éloigna, cette frappe suffisait pour l'offense.
- J'espère que tu auras compris la leçon, avorton !
A genoux dans la ruelle, le blondinet releva la tête, le regard perdu et extatique. S'il le recroisait... Sur une musique que lui seul entendait, l'homme se mit à danser. L'elfe chantonnait.
- Danse danse...
La menace enfin hors de son champ de vision, l'infortuné chercha à tâtons quelque chose sur le sol humide de la ruelle, et sa main se referma, soulagée, sur un objet tombé pendant l'affrontement, qui lui semblait très précieux. Il se releva difficilement, s'appuyant contre le mur.
- Trop de monde...
C'est boitillant, se remettant lentement de la violence de l'affrontement que l'elfe partit, quittant la ville et ses tourments, se dirigeant vers la plage... souhaitant ne s'effondrer en route.
- Là au moins, il n'y aura personne...
Douce espérance...
Mer 26 Nov 2008 - 23:20