A proximité d'une forge très active...

Rien ne se passait comme prévu, tout allait de travers...

C'est du moins, ainsi qu'il le voyait, lui. Le Seigneur de sa prêtresse étant toujours aux abonnés absents, la prêtresse elle-même se faisait plutot rare également. Des affaires urgentes à régler sous d'autres cieux probablement.

Toujours est-il que le serviteur sans maîtresse ne sait que faire à l'exception de la gestion monotone de son petit commerce, certes florissant, mais bon. Il n'a pas spécialement prévu de faire carrière dans le divertissement des zombies putrides de la région et cette situation commence sérieusement à l'agacer.

Alors que, dissimulé tant bien que mal, dans l'ombre d'une ruelle, presque coincée entre deux maisons penchées au-dessus d'un pavage inégal, il rumine ses sombres pensées, les yeux brulants d'un feu rageur du Chevalier Macabre restent plantés sur la célèbre forge de Feyzin.

Il est reconnu que le bonhomme ne s'était affilié à aucun parti présent et qu'une simple invitation de l'un ou l'autre bord pourrait faire pencher la balance. Pour le moment, Hyi Hyil attend...

Il attend que les clients sortent enfin.
Il attend que ce foutu prince de pacotille ramasse ses cliques et ses claques.
Il attend que le forgeron soit seul.

Que Velvi le maudisse, ce pédant péteux ! Ce n'était pas sa place ici, pourquoi ne retournait-il pas presto dans sa cahute de pierre se chauffer les pieds près d'un bon feu !?

De rage, le revenant tape du poing un tonneau destiné à la récupération des eaux de pluie. Le bois, bien que solide et ayant résisté à de nombreuses saisons ne peut affronter un tel impact et explose littéralement, inondant la ruelle et aspergeant l'homme en armure qui peste et jure bruyamment en tombant à la renverse.

"Put*** de bo***l de sal***rie de bo***l de m***e !!!"

Le sombre guerrier ne s'attendait visiblement pas à une telle réaction et est entrainé, sur le dos, les quatre fers en l'air, au milieu de la rue.

Se relevant rapidement, il s'ébroue rageusement et vocifère après la foule de badauds arrêtés là :

"Que regardez-vous donc, bande de moules à gaufres ! Retournez donc à vos vies pitoyables pendant que vous le pouvez encore ! Si Vel... vorn... Si le Seigneur Velvorn était là, vous feriez moins les malins... Ah ! Mais qu'est-ce que je fous là moi ?"

Commençant à crier et jurer de plus en plus fort, une troupe de miliciens ne tarde pas à débarquer, hésitant entre la menace ou la violence réelle envers cet étrange énergumène...

"Put*** ! Mais qu'est-ce que vous regardez à la fin ? Tu veux quoi, toi ? Et toi, tu veux voir mon cul ou quoi ? Ah, si j'en avais encore un ! Et eux là ! Bande de guignols à la mords-moi-l'noeud-qu'j'ai-plus ! Vous vous êtes regardés ?"

Les malheureux miliciens n'en mènent pas large face à ce déchaînement de violence verbale, d'autant plus que le bonhomme est grand, lourdement armé et agite les poings autour de lui, menaçant.

[HRP : Bon, ben, c'est libre et suffisemment bruyant pour que les présents dans la forge l'entendent... Voilà... Ah oui, c'est la même base qu'Agaërnohn, pour ceux qui connaissent, mais ce n'est pas du tout le même perso, n'est-ce pas ?]

S'interrompant brutalement dans ses élans colériques, l'homme en armure aperçoit enfin le visage caractéristique du forgeron. Enfin !

Arrêtant ses moulinets inutiles, il laisse retomber ses poings, secoue sa cape trempée dans laquelle il tente de se draper dignement avant de s'avancer... droit sur les miliciens qui lui bloquent en partie le passage. Mais, sans même leur prêter attention, il en bouscule un qui ne s'est pas reculer assez vite et marche droit sur Feyzin.

"Maître Forgeron, quel plaisir de vous voir enfin... J'ai beaucoup entendu parler de vous mais n'avais pas encore eu la chance de venir vous rencontrer... Permettrez-vous que je m'entretienne avec vous d'un problème grave... ?"

La voix étrange et caverneuse du chevalier oscille entre un ton obséquieux et une légère contrariété sous-tendue. Encore dégoulinant de son bain improvisé, le guerrier dégage un parfum venue tout droit d'une crypte qui aurait été inondée pendant plusieurs lunes...

Approchant à pas mesuré, celui qui semble être le chef du détachement se lance, prenant tout son courage à deux mains :

"Hum, Messire ? Je crois que vous devriez nous suivre pour la dégradation de... du... et... euh... pour l'esclandre en... hum... en place... pub... publique quoi... Enfin, c'est la loi... Messire... Et je ne... hum hum... Je ne fais que suivre les ord..."

Il n'a pas fini sa phrase que l'interpellé, après avoir poussé un profond soupir, a subitement fait volte-face en tirant son épée. D'un moulinet rapide, il coupe la lanière du casque du jeune homme avant de le faire voler dans les airs d'un coup de pommeau. Le malheureux, surpris, sent alors la lame noire comme la nuit et barbelée se poser sur sa gorge...

"Un mot de plus et... Oh, et pourquoi attendre ce mot supplémentaire ? J'agis au nom du Seigneur Velvorn, pauvres mortels et vous ne pouvez rien contre moi. Ses armées vous balaieront dès qu'il en manifestera le désir et il rasera cette ville en levant un simple doigt..." A Feyzin, vers lequel il se tourne légèrement. "Donc, je m'occupe de lui, et nous arrivons..." Il toise le jeune homme tenue en joue, semble le jauger, puis continue... "Non... Et je viendrais vous voir dans votre établissement si vous êtes d'accord, où nous pourrons deviser tranquilement."

Il était temps que le chevalier réponde enfin... Peu aidée par son humeur grognon, la patience de Feyzin commençait vraiment à toucher ses limites... Mais lorsqu'il se tourna vers lui, le forgeron fut heureux d'être dos au mur, car il aurait sans doute fait un pas en arrière, voire même perdu l'équilibre. En effet, l'armure qu'il avait juste sous son nez semblait vivante, comme si elle se mouvait d'elle-même, que rien ne la dirigeait depuis l'intérieur... Deux points blancs brillant entre les interstices du casque faisaient office d'yeux... Ce n'était pas naturel... pas naturel du tout... Aussitôt qu'il avait constaté cela, une sourde angoisse avait commencé à remonter dans le ventre du jeune homme, il n'en fallait que peu pour qu'il commence à trembler ou soit tenté de s'enfuir en courant... Mais il résista, refoula la panique qui fondait sur lui comme un oiseau de proie, ne chancela pas. Et cela lui permit de faire face...
Feyzin avait parfaitement conscience qu'il n'était pas très imposant - surtout comparé à l'homme en armure... Il devait même paraître étrange, avec ses cheveux encore humides qui collaient par mèches à son visage. Il ne les avait pas démêlés, et c'était dans un joyeux désordre que ceux qui ne lui cachaient pas la vue étaient plaqués sur sa tête... Sa peau noire ne semblait pas perturber l'étranger, mais ses habits n'avaient pas non plus oublié qu'il sortait tout juste du bain, et affirmaient avec malice la finesse de son corps à moitié elfique... Tout cela ne lui donnait pas grande contenance, et, cumulé à son malaise, il se demandait comment il pouvait réussir à tenir tête à la créature...Pourtant, il le fit.
Sans réfléchir plus longtemps - cela aurait été sans nul doute catastrophique - il avait fait un pas dans la direction du guerrier. Le discours à propos "d'un problème grave" ne semblait pas vraiment l'effleurer, ou alors il ne réalisait pas... Mais lorsqu'il frôla du doigt le métal humide, examinant soigneusement les jointures de l'armure, son porteur sut qu'il avait fait exprès de mal comprendre ses propos... Il s'éloigna à nouveau, pour regarder l'homme dans les "yeux", qu'il évita de fixer trop longtemps.

- Vous savez, ce n'était vraiment pas la peine de faire tout ce boucan... Il fallait simplement le dire, que vous aviez besoin d'huile !

Le forgeron affichait à présent une mine égayée, comme si l'affaire qui le concernait maintenant n'était qu'une stupide histoire de ballon perdu... Mais si le ton était au premier abord très joyeux, il laissait sous entendre un froid cynisme. Avant que son interlocuteur n'ait eu le temps de répliquer, Feyzin continua dans la lancée de son jeu : il se tourna à nouveau vers l'atelier pour aller chercher l'huile dont il avait parlé... Personne ne le retint, il en fut presque étonné. Mais il n'eut pas de mal à en saisir la raison, l'intervention d'un soldat avait interrompu ce commencement de discussion. Bah, il l'avait avortée, de toute façon...
Le jeune homme s'arrêta cependant au pas de la porte, sans se retourner, pour écouter ce qui se disait... Il s'avéra que ce ne fut pas perdu. Il entendit le chant de la lame, épaisse et ouvragée, parfaitement équilibrée. Il fut soulagé en revanche que la mélodie s'arrête au cou du jeune effronté, s'il devait en plus nettoyer devant sa porte... Il écouta attentivement le discours du chevalier. Velvorn... Que venait faire ce maudit nécromant chez lui ? La magie, il ne pouvait pas la sentir. Moins il verrait de ces envoyés réanimés, mieux il se porterait...
Ce qui l'amena à se poser une nouvelle question : pourquoi venir le voir, lui ? Ce n'était une simple question d'huile ou de restauration d'armure, il en était certain... Et il n'était qu'un modeste forgeron de quartier, comment ce grand machin à pointes l'avait-il connu ? Une réponse s'imposa à lui : Färvien. Si le petit prince était bien ce qu'il prétendait être, alors la rumeur devait s'être répandue comme une traînée de poudre... C'était la seule explication... Mais dans ce cas, il aurait bientôt à s'inquiéter d'autres sortes de ragots...

Toujours à la porte, et concentré sur ses pensées, Feyzin comprit pourtant précisément qu'il était concerné lorsque la parole lui fut adressée. Par réflexe, il se retourna. Ses sourcils se froncèrent à nouveau à la vue de la créature surnaturelle, mais entendit ce qu'elle avait à lui dire... Quoiqu'il se passe, il n'avait pas la moindre envie d'accueillir cette chose sous son toit... Il regarda donc l'homme de haut en bas avant de répondre, comme s'il le dévisageait - ce qu'il n'avait pas fait auparavant, mais qui lui donnait le temps de se trouver une excuse.

- Ecoutez... J'ai déjà énormément de travail en ce moment, et mon atelier vous ferait comprendre le véritable sens du mot désordre. Je ne pense pas avoir de temps à vous consacrer, aussi importante que soit votre requête...

Feyzin allait s'en retourner chez lui quand son ventre gargouilla. Il regarda distraitement le ciel, remarquant que la journée était déjà bien avancée, peut-être le début d'après-midi, ou plus tard, et notant qu'il n'avait rien mangé depuis la veille...

- A la limite... Si vous m'offrez un morceau... Je pourrais consentir à discuter de vos problèmes d'articulation...

Mouais... Il faudrait quand même qu'il ignore les noeuds dans ses tripes, s'il voulait rendre cela possible... Pas gagné... Comme son estomac ne se gênait pas pour se rappeler à lui, le forgeron pensa bientôt à Färvien, qui était exactement dans le même état que lui... Il se trouva alors égoïste, et commença à parcourir la rue du regard, comme s'il cherchait quelqu'un sans vraiment s'attendre à le voir.

- En fait... J'attends un ami... Il doit être aussi affamé que moi... S'il vous est possible de l'inviter aussi...

Non, ça ne servait à rien... Feyzin secoua négativement la tête, comme pour effacer ce qu'il venait de dire. Färvien devait être resté chez le tanneur, et ne reviendrait certainement pas avant encore un petit moment... Le regard de Feyzin revint sur l'armure, et sachant qu'il ne s'y ferait jamais, retint un petit frisson. Il avisa l'épée, indéniablement de bonne facture. Elle était toujours fermement posée contre la peau devenue blafarde du pauvre humain tétanisé, mais cela, le forgeron n'y prêtait pas vraiment garde. Il admirait l'œuvre de l'artisan, pensant qu'il avait encore beaucoup à apprendre... Finalement, un tremblement de trop vint souiller la lame, et les yeux verts d'eau se reportèrent sur le soldat. Il haussa un sourcil à l'intention du death knigth.

- Bon, et maintenant, vous comptez en faire quoi ?

Pendant un bref instant, le Chevalier Macabre ne semble pas comprendre de quoi parle le forgeron, comme s'il avait oublié ce qu'il faisait. Puis son regard revient se poser sur sa malheureuse victime et il réalise que cette lavette est la source de la question si étrange de Feyzin.

Des yeux, le revenant suit la première goutte de sang perler sur la gorge frémissante du jeune homme, guère plus qu'un gamin, puis glisser le long de la lame maudite de son épée... Ce gosse doit avoir fait jouer beaucoup de relations pour se trouver à la tête d'un détachement tout en étant aussi jeune, sans expérience réelle de combat, peut-être même sans aucune compétence dans le métier des armes... Tout ça pour le prestige de l'uniforme peut-être ? Pour plaire à une jeune et jolie donzelle aisément impressionnable, ou pour plaire au cher papa ?

Quoi qu'il en soit, il est trop tard désormais... Le sang a coulé. A coulé sur la lame noire des ténèbres. Cette unique goutte de sang a éveillé l'appétit terrible de l'épée maudite qui commence à réclamer d'avantage de fluide vital. La petite goutte glisse en sinuant le long du métal noir, disparaissant peu à peu, progressivement mais rapidement avalée par le démon habitant l'arme.

Déjà, le regard de Hyi Hyil se pose au-delà du mort en sursis, sur ses compagnons, toujours indécis... S'entre-regardant, ils se poussent mutuellement, insistant pour qu'un autre fasse le pas en avant qui sauvera peut-être la vie de leur chef mais sans oser le faire eux-mêmes. Après tout, ce gosse n'était pas particulièrement apprécié de ses hommes, prétentieux et odieux comme il a toujours été avec eux, eux qui n'ont pas la chance d'être né dans une famille fortunée.

Le regard de feu blanc passe rapidement sur le groupe presque immobile. Le feu rouge sang de l'épée se met à luire doucement, d'abord sur le court tracé de la goutte de sang, puis sur toute la surface de la lame, brûlant d'un feu intérieur et pulsant au rythme d'un coeur démoniaque.

La scène semble se figer un instant. Tous retiennent leur souffle : miliciens peureux, citoyens effrayés, forgeron blasé. Seul bouge alors le guerrier en armure. Ou plutot son épée...

Un simple geste. Un simple mouvement. Horizontal.

Un chuintement. Un bruit mouillé. Un gargouillement étranglé.

Puis la vie reprend son cours. Ou plutot, la mort vient faire son office. Un cri se fait entendre. Un second, comme un écho, vient le doubler. De l'épée ou du guerrier, nul ne saurait dire qui crie le plus fort ou qui a commencé.

Tourbillonnant sur lui-même, Hyi Hyil passe dans le dos de l'ex-petit chef, s'approchant du premier homme, ne lui laissant aucune chance. Un coup d'écu à la tête lui éclate le crâne, éclaboussant de cervelle rosée son plus proche voisin qui s'écroule un instant plus tard, éventré, presque coupé en deux. D'un revers, le suivant y perd son bras, et son arme, étant parvenu à dégainer, avant de prendre à son tour un puissant coup d'écu dans la poitrine qui l'envoie voler en arrière, parmi les habitants pétrifiés de peur et de dégoût. D'un léger bond, il s'approche des autres miliciens, l'épée levée qu'il abat sur un premier adversaire, lui tranchant de la clavicule à l'omoplate et descendant toute la hauteur du sternum, s'extraie dans un bruit de succion immonde avant de replonger dans un autre corps puis de virevolter autour du dernier adversaire, le démembrant totalement.

Cette boucherie terminée, le Death Knight éclate d'un rire macabre chargé de folie sanguinaire.

"Voyez la puissance des Ténèbres et tremblez dans vos chaumières !"

Les habitants de Tylen comprennent alors que cet homme en armure, tout de folie pure, est peut-être l'une de pires malédictions qui pouvaient leur tomber dessus...

La créature se détourne de l'horrible massacre. Sur la place flotte une terrible odeur pestilentielle de mort et de douleurs. Tous suivent des yeux ce monstre d'acier dont l'épée semble gémir, appelant au sang, toute fumante et pulsante de ce carmin si dérangeant.

Arrivé à la hauteur du forgeron, la voix sépulcrale, issue d'un profond tombeau oublié des Dieux se fait de nouveau entendre :

"Votre ami est le bienvenue, Maître Forgeron. Je peux même vous inviter tous deux dans mon modeste établissement... Nous y serons plus tranquille pour deviser entre gens civilisés..."

Comme plus tôt, le ton est légèrement obséquieux mais la sensation d'irréalité est totale lorsque ce monstre de vilénie se définit comme étant une personne civilisée après le carnage qui vient d'avoir lieu.

Les yeux de nacre se pose sur ceux du forgeron, semblant le dévisager depuis l'au-delà... Dans son dos, le corps sans vie du jeune chef s'écroule sans bruit, sa tête tranchée allant rouler jusqu'aux pieds de Feyzin.

La détresse du soldat ne touchait pas Feyzin le moins du monde... Et il n'avait pas honte de se montrer glacial et insensible à son encontre. S'il avait été un minimum intelligent, il aurait au moins compris que pour s'engager dans l'armée, la lâcheté n'était pas une qualité... En conséquent, le chevalier pouvait le traiter comme il le souhaitait, il n'allait pas le plaindre. Du moment qu'il ne faisait rien qui puisse faire fuir les clients ou lui donner du travail en plus...

En même temps que celui de son interlocuteur, le regard de Feyzin se posa sur les quelques guerriers restés en retrait... Ils n'avaient de combattants que le noms... encore pire que leur chef... Aucun capable de prendre la relève, de se désigner pour agir, en avant ou en arrière... Le forgeron n'avait qu'un mot pour désigner cette attitude : pitoyable...

Magie... La lueur qui teinta l'épée de sang n'échappa pas un instant au demi-elfe. La tâche avait disparu, mais il vit l'éclat s'étendre depuis son spectre, à toute la surface de l'épée... Complètement pris au dépourvu, le forgeron écarquilla les yeux, ne pouvant retenir une expression de pure terreur. Il recula vivement, comme si cet air malsain lui était destiné. Il ne pouvait détourner ses yeux du halo rougeâtre, qui se reflétaient sur les iris verts, leur donnant une étrange couleur...
Bien malgré lui, Feyzin ne put qu'observer la scène qui suivit en spectateur. Il tremblait, pour de bon, cette fois, et ne pouvait rien pour s'en empêcher... Il n'était pas ému par ces jeunes gens à cause de leur couardise, et n'aurait pas eu plus de pitié pour eux dans d'autres circonstances... Mais ce qu'il se produisait n'était pas un massacre ordinaire... La lame épouvantable buvait - littéralement - le sang des personnes qu'elle décimait... Tout son être se révoltait contre cette idée, mais Feyzin ne pouvait surmonter cet effroi, il était tétanisé...

Puis tout se termina. La tension retomba tout d'un coup, alors que la lame noire reprenait sa teinte originelle... Le forgeron respira un grand coup, reprenant vite ses esprits. Lorsque le chevalier se rapprocha un peu trop de lui à son goût, le contrecoup du choc lui fit malgré tout faire un dernier pas en arrière... Il ne l'évita pas, pourtant, et toisa le regard blafard sans ciller.

- Peu importe l'endroit où nous pouvons "discuter"...

Comme le calme avant la tempête, la voix de Feyzin était très suave. Le corps mince tremblait à nouveau. Mais l'origine n'en était plus la même. Son cœur battait encore la chamade, par ricochet perpétuel, l'adrénaline envahissait peu à peu ses veines, guidée par la colère qui s'immisçait sournoisement en lui...

- Comment pourrais-je vous suivre ? Vous ne réalisez même pas ce que vous venez de faire...

Un cran au dessus... Le forgeron montrait à présent les cadavres écharpés qui gisaient pèle-mêle juste devant sa boutique. Il n'était pas très difficile de suivre le fil de sa pensée... Et enfin, il avait accumulé assez de rancune pour qu'elle éclate violemment. S'il avait été armé, le forgeron n'aurait sans doute pas attendu plus longtemps pour ficher sa lame sous la gorge de cet imbécile... Mais le déchaînement fut - heureusement pour qui ? - seulement verbal...

- Vous voyez ça ? Peu m'importe que vous ayez tué ces misérables... Mais vous l'ayez fait devant chez moi ! Êtes vous mon ennemi ? Vous ruinez mon commerce !

Plus fort que précédemment, Feyzin avait crié. Mais il s'affaissa soudainement, complètement vidé de toute énergie. Sa fureur lui avait donné des ailes, il ne s'était même pas aperçu que ses jambes ne le portaient déjà plus...

Devant la colère du forgeron, Hyi Hyil regarde autour de lui, semblant découvrir les corps mutilés autour de lui.

Il s'apprêtait à réitérer son invitation à déjeuner mais la réaction de Feyzin l'a coupé dans son élan.

"Allons, Maître Forgeron. Vous vous emportez... Ce ne sont pas ces quelques corps qui vont ainsi vous ruiner. Ne voyez là qu'une petite démonstration des puissances que vous pourriez accompagner dans leur quête à la fin inéluctable. Vel... Vel... Le Seigneur Velvorn remportera la bataille qui se prépare, et ses généraux seront les maîtres des lieux. Ce n'est qu'une question de temps avant que cela n'arrive. Et à ce moment-là, de quel coté voudrez-vous vous trouvez ? Pensez également à tout ce que pourrait vous apportez cette collaboration. Songez-y, Maître Feyzin."

Du bout de son épée encore rougeoyante et toujours fumante, le guerrier repousse la tête tranchée des pieds du jeune homme écroulé sur le sol. Bien que son visage soit masqué par les cheveux tombés sur son visage, un frisson le parcourt lorsque l'arme maudite et gémissante l'approche puis passe au-dessus de sa tête avant de rejoindre son fourreau ouvragé.

Finalement, Hyi Hyil se penche en avant et le pêche comme on soulève un jeune enfant, sans efforts. Dressé de toute sa taille, il balaie la place du regard avant de s'éloigner pesamment...

Bien entendu, qu'il s'emportait ! Peu lui importait ce nécromant et ses funestes projets, il vouait seulement vivre sa vie comme il l'entendait... Et il entendait bien être tranquille... Ce qui était d'ores et déjà fichu... Ce stupide guerrier ne réalisait-il pas que ces corps sans vie qui bloquaient le passage gâcheraient définitivement le peu de réputation qu'il avait réussi à se forger ? Personne ne voudrait plus entrer chez lui, il pouvait jeter son tablier et retourner tout de suite à la mine... Une bataille ? Il en était loin... Il fabriquerait sans doute des armes à destination des guerriers, satisfaisant les demandes des deux factions... Son affaire n'en fonctionnerait que mieux, il ne pourrait en être qu'enchanté... Il se fichait comme d'une guigne du pouvoir, ce que cela lui permettrait d'obtenir... Il n'avait jamais réfléchi à cela, et ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait commencer... Il n'y tenait pas. Choisir un camp ? Et puis quoi encore ? Il était un forgeron, artisan honnête qui subsistait à ses besoins par le travail de ses mains. Cela lui suffisait amplement, il ne souhaitait ni plus, ni moins... Le reste lui passait au dessus de la tête, et il ne ne lèverait jamais les yeux vers ces sottises...

Mais le chevalier l'emportait... Quelle faiblesse, saleté ! Mais la colère était loin, maintenant... Elle avait été à nouveau éclipsée par quelque chose que le forgeron ne pouvait retenir, ni ignorer... Une peur instinctive... Le jeune homme était vulnérable, et n'en était que trop conscient... Il se trouvait dans des bras animés par la magie, tant redoutée... Et il ne pouvait s'en dégager... Son corps ne tremblait plus. Ce qui le secouait à présent s'apparentait plus à des spasmes... Feyzin trouva pourtant la force et la volonté de lever la tête vers celle du death knigth, mais il lui montra des yeux sans expression, vidés de toute substance... Il avait la bouche ouverte, mais aucun son n'en sortait... De la peur ? En voilà un euphémisme... Soudain, le forgeron parla... Sa langue avait finalement réussit à se délier, mais difficilement, cela était évident que ce geste demandait à son propriétaire un effort énorme... Sa voix était plus blanche que le regard laiteux qui le troublait tant...

- Lâchez-moi...

Sans un mot, sans même s'arrêter, le guerrier abaisse les fanaux de ses yeux vers le petit forgeron, semblable à un enfant perdu dans l'étau de ses bras gainés d'acier. Avec un bref rire bas et guttural, il ouvre largement son étreinte, se débrouillant pour tenir Feyzin à bout de bras, le poignet gauche sous un bras et sa poigne irrésistible serrée sur l'arrière du col du jeune homme.

Fayzin se retrouve donc suspendu dans les airs, tenu par le col, avec bien peu de moyen d'échapper à la prise de son kidnappeur. Si tant est que ce soit réellement un enlèvement... Comment savoir avec un serviteur des forces du mal ?

"Est-ce suffisant, ainsi, Maître ?"

Indifférent au poids de sa charge portée de façon si peu orthodoxe, Hyi Hyil descend la rue, prenant la direction des bas quartiers. Vers la ville basse... Et il y va vite, marchant d'un bon pas, infatigable.

Etait-ce suffisant ? Non... Non ! Feyzin ne réussit même pas à secouer la tête... C'était la première fois qu'il percevait la magie aussi forte, le malaise surpassait tout ce qu'il avait connu jusque là... Peut-être à cause de la nature même de cet individu ? La magie nécrotique faisait des miracles... si l'on pouvait dire ainsi... Il combattait intérieurement pour vaincre cette terreur affreuse, mais en vain... Il n'y arrivait pas, c'était viscéral... Et le demi-elfe se retrouvait à présent suspendu au bout du bras de cette ignominie, sans aucun appui, encore plus démuni qu'auparavant... L'aura noire le touchait toujours, il la sentait entrer en lui comme une hideuse folie... Il devait résister... à tout prix, où il sombrerait...
En temps normal, Feyzin aurait déjà réagi aux mots que le chevalier avait prononcé... Il y avait bien trop d'ironie dans sa voix à l'énoncé de son titre pour qu'il le supporte... Mais à cet instant, il sentait toute combattivité le quitter, comme si l'on aspirait son énergie vitale... Il se sentait faible, et n'avait même pas l'envie de répondre à la provocation... Le forgeron trouva pourtant enfin sa solution : il se savait hors de lui, et cela ne lui ressemblait pas de rester sans rien faire... Il lui manquait seulement la volonté d'exprimer ce qu'il pensait... Alors, il se concentra sur sa colère, jusqu'à ce qu'elle enfle et prenne le dessus sur sa peur. Il put alors ouvrit la bouche, franchement.

- Ne m'appelle pas comme ça ! Pas sur ce ton !

Le cœur oppressé, Feyzin savait pertinemment que malgré tous ses efforts, ce semblant de courage ne pourrait durer... Il fallait qu'il arrête de le toucher, il fallait qu'il s'éloigne... Il était à la merci de la mort même, et tout dépendrait de sa bonne volonté... Il devait quand même essayer, agir... Pourvu que...

- Et lâche-moi ! Je suis capable de marcher !

Pour faire cette déclaration, le jeune homme s'était contorsionné pour au moins apercevoir le visage de son interlocuteur. L'irritation qui faisait vibrer sa voix, ardente, la rendait crédible et réellement convaincante. Mais malgré toute l'assurance qu'il avait mis dans cette affirmation, le forgeron ne pouvait prétendre dire la vérité... La seule chose qui comptait était qu'il devait absolument se sortir de là, où il y laisserait plus que la vie... Il était mal, très mal... Le guerrier l'entraînait vers la partie sombre de la ville, sans vraiment rencontrer de résistance de sa part... Mais il n'y pouvait simplement rien... malgré ce que lui criait son instinct... Ce n'était pas une bonne chose... pas du tout, du tout... Il voulait simplement qu'il le pose à terre qu'il lui donne une opportunité... Il devait partir, et le plus vite possible... S'il restait encore...

Partant dans un grand éclat de rire, le guerrier en armure s'arrête au milieu de la rue. Son regard de feu blanc a momentanément disparu, laissant le heaume comme vide, déserté de toute vie, renforçant ainsi le malaise du demi-elfe.

Il fait ensuite face à son captif et lui demande :

"Vous sentez-vous réellement en état de marcher ? Ce n'est pas mon avis voyez-vous... M'est avis que je devrais continuez à vous portez. D'ailleurs, ce n'est plus très loin."

Disant cela, il reprend sa marche, déterminé. Tenant toujours fermement Feyzin de la main gauche, il s'avance d'un pas pesant, ignorant les passants et bousculant ceux qui ne se poussent pas assez vite.

Lentement, d'une voix assourdie, il donne quelques ordres incompréhensibles dans une langue gutturale et inquiétante.

Bientot, une rumeur se fait entendre au bout de la rue, suivie d'une confusion et d'un mouvement refluant de la foule éparse qui remonte la rue en courant de plus en plus vite.

"Ah les voici... Ne vous inquiétez pas, Maître, il sont là pour vous porter."

Apparaissent alors quatre zombies au bout de la rue, avançant lentement comme un seul homme. Equipés comme des hommes d'armes, les quatre créatures sont assez impressionnantes et surtout, très effrayantes...

Les yeux du chevalier... Feyzin les entrevoyait... ou plutôt, ne les voyait pas... De la position dans laquelle il se trouvait, la lueur blême de son regard sembla disparaître... à moins que cette impression ne soit bien réelle... Le jeune homme se sentit mal... L'armure était vide... Puis cette dernière tourna le poignet de sorte à ce que le visage du demi-elfe doive affronter le sien, presque nez à nez avec le heaume maudit... Le rire du guerrier résonnait encore en un écho malsain dans les rues et dans la tête du prisonnier, mais le semblant de vie qui l'habitait était au moins revenue, le rassurant de façon toute relative...

- Vous sentez-vous réellement en état de marcher ? Ce n'est pas mon avis voyez-vous... M'est avis que je devrais continuez à vous portez. D'ailleurs, ce n'est plus très loin.

Déstabilisé par la tranquille assurance de son "hôte", Feyzin chercha à répondre malgré son infortune.

- Mais si, je...

Mais il ne continua pas. Le ton du chevalier ne laissait place à aucune discussion. C'était inéluctable, Feyzin le savait, il ne le lâcherait pas... Et il savait pertinemment ne pas être en mesure de lui échapper... Il était inutile de résister, cela ne serait qu'une dépense d'énergie inutile...
Ce qui allait arriver était en revanche bien au delà de ses prévisions... Il entendit l'appel, comme une sourde résonance... Quelques phrases, courtes. Une invocation, une simple directive ? L'effet était le même... Les passants auparavant simplement bousculés formaient à présent une véritable cohue... La foule finit par s'organiser d'un commun accord, mue par une peur superstitieuse mais on ne pouvait plus naturelle... L'origine de ce mouvement se fit bientôt connaître à Feyzin, alors que la rue s'éclaircissait à vue d'œil. Ils entrèrent lentement dans l'angle de vision du forgeron... Impossible...

- Je...

A peine les avait-il vu que son corps avait de lui-même réagi, avant que son cerveau n'assimile ce qu'ils étaient... Des corps sans âmes, animés par magie... Des non-vivants... Son sang n'avait fait qu'un tour, mais il s'était contenu avant de faire quelque chose d'idiot... Se débattre ou protester ne servirait à rien, il s'était déjà fait cette réflexion, à peine plus tôt... Il devait tout faire pour rester calme, ne pas se laisser aller... Des non-vivants... Comment pouvait-il... ?

- Ah les voici... Ne vous inquiétez pas, Maître, il sont là pour vous porter.

Feyzin n'avait pas le cœur à protester une nouvelle fois contre cette nouvelle moquerie... Se pouvait-il que le chevalier ne se rende pas compte de sa frayeur face aux phénomènes surnaturels ? Non... Malgré son apparente ignorance, il faisait cela en connaissance de cause, de façon parfaitement délibérée... Il voulait encore le voir trembler... Mais le forgeron ne voulait surtout pas satisfaire le désir morbide de cet individu, et cette simple motivation suffisait à lui redonner un peu de courage et de la détermination... Pour oublier cette sensation, il réfléchissait... Il était un imbécile... Il se serait bien tapé la tête contre un mur, s'il l'avait pu... Mais même inutilement, le demi-elfe prenait son temps... D'où venaient ces zombies ? Ils étaient richement équipés, ils ne venaient pas tout juste d'être déterrés... Ce qu'il en pensait ne changeait rien, il le savait depuis le début... Cet... homme... était l'envoyé du nécromant... Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'il ait ce genre de serviteurs...
L'artisan tournait et retournait ces idées dans sa tête, pour éviter qu'un autre genre de pensées ne viennent s'immiscer dans son esprit, quand un visage vint de manière inopportune, mais bienvenue aux yeux du jeune homme, s'imposer à son souvenir. Färvien... Il devait être rentré, à présent... Il avait déjà assez traîné, alors Feyzin l'espérait... Il s'inquièterait, si ce n'était pas le cas... Mais comment savoir ?

- Mon...

Sans prendre garde à l'air à la fois désespéré et horrifié qu'il aborda alors, Feyzin s'interrompit spontanément. Qu'allait-il dire à cet énergumène ? Que son ami devait être enfin arrivé, ou qu'il ne tarderait pas ? Qu'il risquait de se demander où il était passé ? Qu'il s'en faisait pour son absence, peut-être ? Mais que croyait-il ? Il ne manquerait plus que le chevalier envoie un de ses sbires pour l'attendre et le tranquilliser... Cela ne ferait sans doute qu'un captif de plus, et de choix qui plus est... Le forgeron s'en voudrait de livrer au nécromant un tel trésor...
Feyzin se surprenait à réfléchir aussi froidement... Mais cela l'aidait peut-être à ne pas s'effondrer pour de bon... En réalité, il ne voulait surtout pas que le petit prince se retrouve dans la même situation que lui... Elle n'avait rien d'enviable, et il devait bien avouer que... Il sourit. Réaction étonnante de sa part, surtout en de pareilles circonstances. Il devenait sentimental ? C'en était ridicule... Il s'efforça d'oublier bien vite ce détail...

Passer outre le cheminement de ses propres réflexions fut moins difficile qu'il ne le pensait. En effet, les créatures qui l'entouraient, à présent libérées de la masse des badauds l'appuyèrent en ce sens... même s'il aurait préféré qu'il n'en soit rien... Elles avaient choisi ce moment pour le faire changer de porteur... Les mort-vivants prenaient la relève du chevalier, et Feyzin se retrouva propulsés de l'extrémité d'un bras insupportable dans huit qui ne l'étaient pas moins... Le corps du forgeron fut à nouveau parcourut de frissons. La fatalité était de retour, il tenta tout ce qu'il put pour empêcher ses yeux de redevenir vitreux... Il les tourna vers le guerrier mort. Ce n'était plus très loin, avait-il dit... Malgré tout ses efforts, il ne put empêcher sa voix de trembler...

- Où m'emmenez-vous ? Que me voulez-vous exactement ?

A cette question, le chevalier éclate de rire. D'abord contenu, il explose littéralement, assourdissant. Un rire à la fois sardonique et dément, d'une amplitude sonore phénoménale.

Les quatre revenants ont saisi le petit homme pendant ce temps, deux ayant formé une chaise de leurs bras croisés, les deux autres tenant fermement bras et épaules. Prisonnier sans l'être tout à fait, simplement porté et maintenu, Feyzin ne peut s'empêcher de frissoner sous le contact répugnant des doigts morts serrés sur sa chair.

"Où je vous emmène, Maitre ? Mais nous allons seulement boire un petit verre entre amis."

Ce ton, sarcastique à nouveau, semble cacher une promesse inquiétante. Que peut bien vouloir ce fêlé du casque, fiélon du maléfique Nécromant ? Reparti dans un éclat de rire, il suit la chaise nécrotique dans des ruelles désormais désertes. Au loin, résonnent les cors de la milice sonnant le rassemblement et les cris des chefs de section partis à travers la ville retrouver le boucher responsable de la tuerie...

Le rire de dingue s'arrête brutalement.

Inquiétude du guerrier mort ? Non, point du tout.

Indiquant du doigt les ruines éboulées d'une maison de pierre, il dit simplement :

"Nous y sommes."

[HRP : Suite dans "La sombre influence du Nécromant...", ici.]

HRP/ Histoire de situer...

- Vite, vite, dépêchez-vous !

Le vent soufflait vite, dans les rues de Tylen... La rumeur était vite arrivée jusqu'aux oreilles des miliciens. Un massacre... Rien moins qu'un massacre. Juste devant la porte d'un atelier de forgeron. Un petit atelier de quartier, tenu par un jeune forgeron, modeste et sans histoire. Feyzin. Son nom était relativement connu, mais actuellement pas réellement pour son travail. Car il y avait en effet un détail gênant concernant ce personnage, le seul : tout portait à croire qu'il était... le fils d'un elfe noir. Mais rien dans ses agissements n'avait jusque là été répréhensible. Jusque là...

A présent, le chef des miliciens dirigeait ses hommes en direction de cet atelier. Il était déjà trop tard, il ne le savait que trop... Mais... pourquoi maintenant ? Pourquoi ce sang-mêlé laisserait-il court à ses pulsions ? Il commençait enfin à avoir des clients, sa réputation commençait à se répandre... Il faisait du bon travail, et avait de l'avenir. Il ne le connaissait pas, mais pour lui, les ragots qui couraient étaient étranges... Un canular ? Non, ça n'aurait pas pris une telle ampleur... Alors, que s'était-il passé ?
Les bruits ne mentionnaient qu'à mi-mots, et seulement en tremblant, un effrayant chevalier qui se serait disputé avec le forgeron... De leur colère aurait résulté ce carnage... Hum. Il avait du mal à y croire. Il était loin de comprendre tous les phénomènes surnaturels, mais ne voyait pas ce que serait venu faire un de ces phénomènes dans cet endroit. Feyzin était certes doué, mais n'avait aucune prétention... Et des miliciens peu chanceux auraient payé le prix de leur différend ? A moins qu'ils ne se soient alliés... Il ne fallait pas croire tout ce que l'on racontait... Des miliciens décimés... Un forgeron que le commun des mortels évitait... Un chevalier dont personne ne retenait un souvenir identique... Quel était le vrai là-dedans ? Lui et sa garde se rendaient justement sur place pour le savoir...

La petite troupe arriva enfin sur les lieux. Le chef était le premier à en rester bouche bée. Le petite rue était déserte. On ne pouvait qualifier cela que d'inquiétant dans cette petite rue commerçante, en plein milieu d'une après-midi ensoleillée... La foule évitait soigneusement le spectacle qui se trouvait sous les yeux des miliciens. Le chef reprit vite son sang froid, et se retourna rapidement vers ses hommes. Il s'adressa alors à son second sans pouvoir empêcher sa voix de trembler.

- Vas... Vas chercher immédiatement des renforts... avec des brancards.

Dans l'urgence, ils n'avaient pris aucun autre équipement que celui qu'ils avaient sur eux... Mais une grande force avait été à l'œuvre ici. C'était certain, le forgeron n'avait pas pu faire cela seul... Autant dire qu'il n'avait pris pas la peine de demander un guérisseur. Il doutait qu'un seul de ces corps déchiquetés ait pu survivre... Les mouches commençaient déjà leur sale boulot de charognard... Cette histoire de chevalier mystérieux était peut-être réelle, finalement... Mais cela n'annonçait rien de bon... Il n'avait pas encore examiné les corps, mais déjà un sentiment le prenait au tripes : celui - ou ceux - qui étaient à l'origine de tout cela étaient puissants... effroyablement puissants... Et la terreur qu'inspirait le nécromant aurait vite fait de se répandre comme une traînée de poudre...
Le second, dont le visage avait pris une teinte blafarde, arracha tant bien que mal son regard du spectacle macabre. Il hocha la tête en silence, et se retourna, désignant dans un mouvement feutré deux hommes qui l'accompagneraient. Le silence qui régnait était accablant. Les pas des soldats qui s'éloignaient ne semblaient même pas pouvoir le rompre...

A nouveau, le chef revint vers la scène. Il avança de quelques pas, les soldats l'imitèrent, hésitants. Ses pieds n'étaient pas loin de toucher la flaque de sang qui s'était répandue autour des cadavres, déjà absorbée par le sable. Il observa, simplement. Tant qu'il ne disait rien, les soldats resteraient en retrait, ne feraient rien. Il n'en avaient d'ailleurs aucune envie. Leur commandant le sentait bien, à leur souffle saccadé, à leur sueur, qui languissait à couler, glaciale, sur leur fronts... Il ouvrit la bouche. Mais aucun son ne sort. Il venait de reconnaître... le chef de cette petite troupe... le plus jeune qui avait été nommé à ce poste... Peu d'expérience, on avait mis sous ses ordres des jeunes soldats eux aussi bien peu expérimentés... Ils n'avaient eu aucune chance... Il secoua tristement la tête. Le petit chef était sans doute le seul qu'il puisse identifier. Il craignait de ne pas pouvoir rendre la pareille aux autres. En effet, le sang masquait leur visage, quand ils n'étaient pas horriblement défigurés... En cela, leur chef avait eu "la chance"... d'être décapité...

Difficilement, le soldat détacha ses yeux de ses collègues à terre. Il les fixa sur les vivants, entendant sans trop de peine les plaques de leurs armures s'entrechoquer. Il devait bien avouer qu'il était lui-même fort secoué. Ce genre de vision ne laisse pas indifférent, surtout quand il s'agissait de personnes que vous connaissiez et aviez côtoyé, même un court moment... Mais il était le seul à ne pas avoir le droit de se laisser aller...

- Inspectez les alentours. Il y a sans doute des détails qui nous renseigneront.

Les corps resteraient là tant que les civières n'étaient pas arrivées. Il avait déjà déterminé quelle unité avait été la victime de cette folie meurtrière, ils ne pouvaient pas faire grand'chose de plus pour l'instant. Et même s'il savait bien que les soldats ne le feraient pas, il tenait quand même à préciser une chose...

- Et ne touchez à rien...

Ses hommes baissèrent la tête. Il se dit qu'ils étaient encore bien jeunes... Trop pour devoir déjà supporter ce genre de situation... Il fallait bien tôt ou tard, mais celle-ci était bien habituelle, choquante et malsaine... Cependant, ils se montrèrent courageux. Sans mot dire, il prirent un air résolu et se dispersèrent dans la ruelle. cela arracha un petit sourire à leur lieutenant. Ils n'oubliaient pas leur rôle... A lui d'en faire de même...
L'homme se dirigea vers l'atelier, parcelle encore non occupée par ses hommes. La porte était ouverte. Il regarda à l'intérieur, détaillant chaque recoin. Mais il n'y avait aucun signe de grabuge. La bataille - s'il y en avait eu une - avait eu lieu à l'extérieur. Mais une chose le laissait perplexe. Le forgeron n'était vraisemblablement pas resté... Mais s'il avait quitté son domicile de son plein gré, pourquoi l'aurait-il laissé ainsi en plan ? Lentement, pour ne rater aucun indice, le soldat sortit de l'appartement. La réponse ne s'y trouvait pas. Il revint vers les corps de ses regrettés collègues, tentant tant bien que mal de ne pas s'émouvoir de leur malheur. Les soldats peu zélés contournaient avec attention ce secteur... Au moins, il serait tranquille pour y "enquêter"...
Les pauvres soldats étaient vraiment méconnaissables... Heureusement qu'il savait déjà qui se cachaient sous ces masques d'épouvante... Mais si ce spectacle était hypnotique, ce n'était pas lui qui l'intéressait, cette fois. Il vouait examiner les alentours, à la recherche d'une trace, d'un détail, même insignifiant... Et il finit par trouver. Du côté de la porte de l'atelier, le sol était piétiné. Un homme à la forte carrure, visiblement, et un autre, plus léger. Le chevalier et le demi-elfe... C'était le plus probable... Et il y avait une marque étrange, comme si quelqu'un avait perdu l'équilibre mais n'était pas vraiment tombé. Cette trace correspondait aux pas du forgeron. Se pouvait-il qu'il n'ait pas touché le sol, ou de façon si brève qu'il y avait peu de solutions pour expliquer ce fait...
Le milicien reprit son inspection au début, suivant le cheminement des traces à leur commencement. Il pouvait ainsi reconstituer les évènements... Le forgeron était sorti de son atelier, d'abord en catastrophe, mais il avait continué de façon nonchalante. Il s'était retrouvé face au chevalier, avait reculé... Il s'était finalement approché à nouveau. Les traces de sang indiquaient que la tête du petit chef se trouvait à cet instant juste à ses pieds. Les traces se firent alors plus profondes. Il s'était appuyé plus fermement sur le sol, comme pour se grandir. C'était là qu'il avait vacillé. Puis ses traces avaient disparu. Celles du chevalier s'éloignaient en revanche de l'endroit... seules...
Le soldat fronça les sourcils. Cela lui indiquait bien plus de choses qu'il ne l'aurait espéré. Le forgeron était resté tout le temps trop loin du massacre... Il n'en était pas responsable... Il avait sûrement été tenté de fuir... Mais pourquoi ne l'avait-il pas fait ? Le milicien ne doutait pas que le chevalier n'aurait pas hésité à user de la force pour obtenir ce qu'il souhaitait. Il l'avait tué... Non, il ne l'aurait pas emporté, sinon. Le lieu de sa chute... Le demi-elfe avait été assommé. Ca devait être ça. Il le voulait vivant... Pourquoi ? Dans tous les cas, il ne pouvait s'appesantir sur lui : Feyzin était sans aucun doute mort, à l'heure qu'il était...

Le chef se releva. Il vit avec satisfaction qu'un de ses hommes avait lui aussi repéré les pas de l'homme à l'armure. Ce dernier vint lui rendre compte de ses observations. Il les accepta cordialement. Le chevalier marchait d'un pas pesant, en direction de ruelles bien plus sombres et misérables que celle où ils se trouvaient... Il le sauraient bientôt. Ils pourraient partir à sa recherche. Il perdraient les traces facilement, amis la direction qu'elles indiquaient en disaient long. Seulement, si elles les menaient, comme il le soupçonnait, au repère de brigands dont il avait eu vent, il ne pourraient rien faire. Car il se trouvait sous la tutelle du nécromant, et personne n'oserait jamais y pénétrer... Finalement, cela ne les menait à rien... Juste au deuil de leurs compagnons d'arme...

Les renforts arrivèrent, cette fois. Le second envoyé à leur base et ses soldats étaient essoufflé, ils avaient aussi vite qu'il pouvaient, courant à l'aller et au retour... Les recrues toutes fraîches se retrouvèrent à leur tour à constater l'étendue des dégâts, ne pouvant que compter les cadavres, dépouilles morcelées des guerriers qu'ils connaissaient plus ou moins personnellement. Avant que les hommes ne soient complètement subjugué par cette horreur, le chef de l'escadron donna des ordres précis, injonction qu'il valait mieux suivre à lettre et dans les plus brefs délais...

- Débarrassez-moi tout ça ! Isolez les corps et mettez-les sur les brancards, il faut les emporter, et vite ! Les autres, videz les sacs de sable sur ce qu'il reste de sang !

Les malheureux à qui fut confiée la tâche de prendre les corps s'activèrent, pour ne pas avoir le temps d'y penser... Les plus sensibles versèrent quand même quelques larmes, visibles sous leur heaume ouvert, mais sur lesquels leur chefs fermèrent les yeux. Les suivants éventrèrent les sacs de sable pour absorber le sang qui coulaient encore, et recouvrir cette ignominie... En un rien de temps, la place fut nette... à quelques détails près... Pendant ce temps, le chef de la première troupe avait raconté toutes ses constatations à son semblable, ainsi que ses conclusions...

- Il faut envoyer un messager au château. Le prince Färvien doit être mit au courant de cela. Les troupes du nécromant sont prêtes, ceci semble en être le premier signe...

Les deux responsables ressentirent du désespoir. Mais il n'était pas trop tard... Le second valeureux fut appelé, et chargé du message. Il partit sans tarder. Il pourrait se reposer après... Les autres soldats débarrassèrent bientôt le plancher. Une parte des troupes fut envoyée à la poursuite du mécréant, mais sans grande chance de succès, tous le savaient... Les autres transportaient avec beaucoup de dévouement les corps des soldats. Des funérailles leur seraient offertes, à la hauteur de leur sacrifice... Même si les badauds éviteraient encore pendant quelque temps cette ruelle, elle était redevenue comme avant... si l'on exceptait les quelques traces cramoisies qui transperçaient les couches de silice, et les portes de l'atelier, toujours grandes ouvertes...
L'appartement était laissé à l'abandon... La première porte laissait entrevoir le sombre escalier qui menait à l'appartement du forgeron, la seconde sur l'atelier en lui-même. A l'intérieur, le fourneau fonctionnait toujours à vide, mais avait assez de combustible pour brûler encore un moment... La température avait en conséquent un peu monté dans l'appartement te le couloir, mais rien d'insupportable. Bien peu en réalité, éparpillée par les ouvertures... Dans la chambre, des draps étaient toujours étendus au dessus d'un lit vide, juste à côté d'un costume déjà sec. Et une baignoire remplie attendait seulement que quelqu'un ne s'y trempe... Mais l'eau propre s'était déjà refroidie...