Très haut dans les montagnes noires...
La tempête redoublait de violence, le vent fouettant la roche et la glace, faisant tourbillonner la neige. Parfois, un bloc se détachait, usé sous l'effet d'érosion, et entraînait dans sa chute vers d'autres profondeurs quelques uns de ses congénères fragilisés. Aujourd'hui c'était le jour de l'un d'entre eux. Pas n'importe lequel. Sa chute n'allait pas passer inaperçue. Si les roches avaient pu parler, et se donner des noms, celui là en aurait certainement eu un du type « Celui-qui-tient-debout-malgré-sa-taille » ou « le-gros-qui-défie-la-tempête ». Sa masse imposante à peine ancrée dans la montagne, fondations érodées par le temps et les conditions climatiques, il tenait bon depuis des années, alors que d'autres tombaient. Mais pas lui. Il restait stoïque et ferme devant la tempête. Sauf aujourd'hui.
Des fissures apparaissaient à sa base, comme une indication de sa chute prochaine. Et le vent redoublait d'ardeur, comme si il savait que c'était aujourd'hui qu'il tomberai. Depuis le temps qu'il était là, face aux vents, les narguant de tout son poids, refusant obstinément de choir. C'était la fin pour lui. Dans un sifflement de victoire du vent et un crissement de dépit du rocher, ce dernier commença à doucement bouger. Il y eut comme une sorte de grondement, et il tomba. L'énorme masse commença sa descente aux enfers en percutant les parois rocheuses, brisant par dizaines d'autres petites roches et essayant d'en emporter un maximum avec lui. Bientôt un groupe se forma, comme une gigantesque expédition vers les profondeurs, dans un fracas assourdissant de morceaux brisés et séparés de la montagne. Le rocher était devenu le leader d'une nouvelle entité, bien décidé à ne pas partir sans laisser de traces. Il était devenu éboulement. Des centaines d'autres roches tourbillonnaient, tombaient, rebondissaient, s'entrechoquaient autour de lui dans un maelström pierreux n'épargnant rien sur son passage.
Finalement, la chute fut moins longue que prévue. Une crevasse s'ouvrit sous le rang des premières pierres, entraînant l'éboulement dans un monde de glace miroitant, fascinant mais froid et sans vie. La chute dura encore quelques mètres, avant que la masse mouvante rocheuse se heurte violemment à une paroi lisse et glacée. Le bruit assourdissant du choc sembla durer des minutes entières tant le rocher avait emmené avec lui nombre de ses congénères. Lui même quand il arriva fut la source d'un craquement extraordinaire qui fissura la paroi sur toute sa longueur. Bien des morceaux se séparèrent de la paroi gelée, venant ajouter un peu plus au chaos qui caractérisait l'arrêt brutal de l'éboulement.
Et puis ce fut le silence. Beau et glacial, comme l'univers où il évoluait à cet instant. Tout mouvement s'était arrêté, seule une légère poussière gelée retombait doucement, recouvrant les lieux du sinistre. Cette fois, la chute était finie, l'éboulement définitivement arrêté. La quiétude habituelle de l'endroit s'apprêtait à reprendre ses droits légitimes. Quand un nouveau morceau de glace bougea. Puis un autre. Mais cette fois c'était de l'intérieur de la paroi que venait la perturbation. Une chose bougea, et l'on aperçut une main décharnée sortir de l'énorme fissure. Une voix d'outre-tombe rugit, et d'autres morceaux de glace s'échouèrent sur les restes rocheux. Puis encore d'autres, plus gros. Et la forme réussit à s'extirper du mur glacé duquel elle provenait. Vêtue d'un long manteau noir, elle s'inspecta longuement. Deux lueurs malignes dansèrent sous le capuchon. Et un rire macabre retentit, amplifié par l'écho de la galerie.
"Je suis sorti!! Le temps de la libération est venu!"
Shiro Galderah'mokal, liche de son état, venait de s'évader de sa prison éternelle...