La cage obscure

Les yeux gris azurés d'Océane longèrent le mur étroit qui descendait dans les profondeurs sombres et humides d'une geôle.
Elle leva sa chandelle pour s'éclairer dans ce lieu ténébreux et si humide.
La porte qui se dressait devant elle était très haute. Bâtie d'un bois ancien et orné de raffineries que se permettaient sa maîtresse. Elle baissa la tête et scruta la serrure. Tant de fois elle l'avait utilisée à des fins désireuses...
Elle leva la clé dorée qu'elle dérobait si souvent à Gabrielle et l'introduit dans la fente.
Sa main si douce tourna la poignée grinçante qui provoquait un bruit ferreux et langoureux.
Elle poussa le battant et entra das la pièce. Décorée de cierges noirs se consumant inlassablement, l'être qui siégeait au coeur de ses pensées était là. Endormi dans une étreinte glaciale. Baigné par les faibles lueurs qui éclairaient son teint désormais si pâle... Adiel reposait là. Ce cercueil de glace éprouvait Océane qui cherchait à le réveiller désespérément.
Elle s'agenouilla auprès de lui et prit sa main inerte pour la déposer contre sa joue tiède.
Sa robe bleutée se froissa dans un bruit d'étoffes mouvante. Elle poussa un soupir de contentement au contact de ce corps plongé dans l'inertie. Beauté figé dans le temps sur qui elle pouvait exercer ses fantasmes les plus secrets.
Elle se pencha sur l'endormi.

- C'est dommage que tu ne puisses pas éprouver tout ce que tu me procures...

Elle effleura le bout de ses lèvres et son parfum marin et sensuelle envahit la pièce.
Les flammes oscillèrent. Océane palpa sa marionnette avec une affection toute particulière.

- Adiel... Très bientôt... J'en suis certaine... Tu seras entièrement à moi...

Elle s'allongea près de lui en esquissant un sourire inconnu. Que lui importait ce cercueil qui figurait tel un pont de glace.

HRP/ Petit retour en arrière parce que je le vaux bien j'en ai assez de rester immobile.
Au passage, il est nul ce titre.

Souvenez-vous :

(Dans les profondeurs de la tour, secouée par ce combat, un ange dormant se met à bouger de son sommeil magique qui se voulait immobile...)

J'ai envie de donner vie à cette scène par moi-même.

~~~

Au cœur du combat des élémentaires, réagissant aux éléments qui se déchaînaient, opposés et complémentaires, un doux vent traversa la Tour, tapissant les murs sur toute sa hauteur, ébouriffant des cheveux or et blancs, passant inaperçu parmi eux, insignifiant face aux déluges et aux séismes provoqués. Il se promena nonchalamment du sommet de la bâtisse blanche jusqu'à ses tréfonds, porteur d'un message.
Le courant d'air pénétra insidieusement sous la porte fermée à double tour pour trouver son destinataire final, un ange endormi que les soubresauts de l'affrontement faisaient trembler. Son corps et sa conscience en veille avaient perçu les assauts, qui avaient ébranlé la Tour jusque dans ses fondements.
Sans émettre aucun jugement l'esprit immobile soutenait l'un et encourageait l'autre, ne souhaitait la victoire d'aucun. Aucune rancune, aucun regret, seule comptait l'union des Anges. Une erreur...

Le vent malicieux vint jouer avec ses cheveux, les soulevant en volutes obscures, jusqu'à tisser un voile. La main fine de l'ange se posa sur la créature farceuse et l'amena à son visage. Petite sphère invisible formée de brume et de soleil, docile et caressante, elle se laissa embrasser. Son sourire embrasa la pièce, et elle fut chargée de séparer les mèches emmêlées. Elle abandonna la main accueillante pour s'activer à la tâche, serviable et bienheureuse.

Le regard étoilé de l'homme-enfant se posa sur sa paume vide. Sur elle ne se reflétait que des ombres... Il vit alors un fil translucide prendre racine sur son index. Il sourit et le regarda grandir, toucher le plafond qui n'existait plus, jusqu'au ciel.
Les neuf autres doigts de ses mains tendues créèrent à leur tour des brins jumeaux qui n'eurent pour ambition que de se lier à leur grand frère. Se croisant, s'enlaçant, ils servirent à l'ange impuissant de couchette, et il se retrouva bientôt empêtré dans une gigantesque toile.

L'homme-insecte voulu crier. A bout de forces, il en fut incapable. C'était lui-même qui avait bâti sa cellule, elle l'avait vidé de son énergie, il était à nouveau prisonnier. Il essaya de s'échapper, mais ses ailes engluées ne lui répondaient pas. Petit papillon sans espoir et perdu, il n'y avait de toute façon personne pour l'entendre.

Une araignée surgit, portant le nom et le visage de tous ceux qui connaissait. Cauchemar sans fin, rêves bloqués dans une bulle qu'il avait façonnée. Ces petits mondes défilaient comme sa vie devant ses yeux à facettes, résumant les peurs et les envies de milliers de personnes qu'il avait regardées, observées, parfois aidées...
Parmi toutes ces voix, tous ces visages, quelques uns plus familiers, qui lui donnaient à nouveau le désir de se battre, de se débattre pour sortir de cet enfer dont il était responsable, et d'y retourner pour mieux les connaître. Au fond de son rêve, des échos, deux personnes qui se ressemblaient, qui rêvaient à l'unisson, qui avaient des aspirations presque semblables. Il n'en reconnaîssaitt qu'une, celle qui le libèrera...

Un bruit de clé que l'on tourne dans une serrure étroite. L'âme désarmée réintégra son corps, le vent cessa de souffler, laissant retomber la chevelure lisse et soyeuse en un ensemble bien ordonné. Le petit nuage tourna autour du visiteur, complice espiègle de son créateur allongé. Mais la danse pour lui était finie, ses yeux clos ne verraient le jour que par ceux qui rêvaient. Les caresses et les soupirs n'apportèrent aucune chaleur au corps froid, aucun réconfort à l'esprit malade. Lorsque l'ange bienveillante et amoureuse quitta la pièce, la dernière illusion se dissipa. La petite sphère de vent se dispersa contre sa joue.

Il était bien étrange de constater qu'il avait ouvert les yeux avant de se réveiller. Et pourtant, c'était ce qu'il était advenu, il y avait assisté d'un point de vue extérieur. Son corps avait anticipé son retour, son esprit avait brisé le sortilège. Avec quelle force était-il revenu à la vie ? Un petit sourire se dessina au coin de ses lèvres. Un autre l'avait aidé, malgré lui, mais volontiers. Depuis le début...
Une partie de son être resterait tournée vers lui, entièrement consacrée à l'écouter. Il lui viendrait en aide à son tour, autant qu'il en était capable. Il lui devait bien ça, et était très attaché à ce retour...

L'ange se réveilla enfin complètement, et commença à se concentrer sur son environnement immédiat. Il sentait plus qu'il ne voyait la pièce autour de lui, noire froide, humide. Déprimante. Un Soleil naquit dans sa main, permettant à son tour à la Nature de procréer. Une jolie prairie prit place dans son espace, effaçant les limites, avec en son centre un portique entouré entourés de coquelicots. Mais l'illusion s'estompa rapidement. Adiel était le seul à pouvoir en profiter, et il n'y croyait plus.
Alors le prisonnier s'assit. Son corps absorba ses ailes, son visage entre ses mains. Lorsqu'il se leva, Adiel ne put que contempler son corps immobile. Il le regarda en spectateur, sans le voir. Mauvais signe. Il pouvait encore bouger, contrôler ses muscles. Partir, revenir. A force de volonté. Mais il n'avait d'autre choix que de rester cloisonné dans cette prison minuscule, où le vent ne pouvait circuler librement et lui apporter les nouvelles du monde.
Son esprit avait rapidement fait le tour de son domaine limité de cette manière étrange et ancienne, coutumière et nouvelle. Mais lorsqu'il revint à sa composante charnelle, se couchant avec elle sur la paillasse glacée, une seule évidence s'imposait à lui. Le sceau se disloquait. Son âme appela.

Uriel !

-> Sieste inattendue pour un juge attendu

-> Sieste inattendue pour un juge attendu

De retour dans son corps, dans sa cellule... Adiel soupira. Uriel comprendrait, il en était certain. Il espérait seulement qu'il comprendrait suffisamment vite. Le danger qui le menaçait ne pouvait être compris d'aucun, même la voix de Gabrielle qui pesait sur son esprit semblait dérisoire...
L'Ange des Mystères ne se demandait même pas pourquoi il avait rendu le message obscur. L'expliciter aurait gagné du temps, pour tous, et surtout pour lui. La principale raison était que l'Archange de l'Eau ne devait pas se douter du réveil de sa victime. Car elle l'éloignerait bien plus... ou l'endormirait définitivement... Elle le connaissait assez bien pour savoir qu'il ne lui résisterait pas. Le Juge savait cela aussi, et le passage dans ses rêves était le meilleur moyen dont disposait le Maître des Songes pour communiquer, elle ne pourrait jamais le savoir. Et le temps que mettrait Uriel à le trouver serait autant de perdu pour leur complice et rivale... Après, il serait trop tard pour tenter autre chose...

Le bras de l'ange se déplaça, frôlant ses cheveux qui reposaient sur lui. Il leva la main vers son visage, regarda son poignet. Ce ruban... Il saisit celui à son cou. Il serait si facile de l'arracher... Si facile de s'en aller... Il relâcha sa prise, reposa lascivement le membre coupable à son côté. Les liens se défaisaient, petit à petit... Bientôt plus rien ne le retiendrait... Il ne voulait pas ça. L'ange qui voyait aller et venir les projets, les avenirs, avait enfin trouvé le sien. Une raison de vivre...

Le Gardien ferma les yeux, passant en revue les âmes qu'il sondait des vies entières. Mais il faisait jour. Peu de gens dorment... Pourtant, une étincelle vint le chatouiller. Un rêveur presque inconnu, étrange... Dans cette sombre agonie, il perçut un cri. De désespoir, de souffrance. Un éclair bleuté, un grondement, un encouragement. L'âme disparut soudain, aspirée à nouveau par la réalité, laissant le messager, les yeux ouverts, troublé dans son enveloppe immobile.
Cette sensation passa finalement, le Veilleur fit le vide dans son esprit. Une douce mélancolie s'empara alors de ses pensées. Cette nuit avait été longue... la meilleure depuis bien longtemps... Cet être désemparé avait été son réconfort, réciproque à en croire ses mots... Son nom lui avait été donné au détour de ses pérégrinations imaginaires, et Adiel se plut à se le répéter, en son âme et conscience.

Feyzin...

-> Tylen -> Ruelles -> Un prince vaut mieux...

-> Tylen -> Ruelles -> Un prince vaut mieux...

De retour dans son antre amoindrie, Adiel regardait le plafond, un sourire au lèvres. C'était vraiment bien... Il ne se demandait même pas comment cela avait pu arriver... De toute façon, il le savait. Feyzin était venu à lui parce qu'il l'avait appelé... Tout comme Uriel un peu plus tôt... sauf qu'il s'agissait là d'une volonté inconsciente qui avait amené le jeune artisan jusqu'à lui... L'ange n'avait façonné aucun décor en conséquence, et l'elfe s'était retrouvé dans le seul lieu possible, celui qui occupait l'esprit du Rêveur... Ce dernier aurait voulu éviter ça, mais il était finalement heureux de l'avoir revu...

Fermant les yeux, Adiel s'engouffra dans la fenêtre laissée ouverte pour lui dans le cœur du forgeron. Il réfléchissait à la situation dans laquelle se trouvait son compagnon... précaire, c'était le moins que l'on pouvait dire... Et son intervention inopportune n'avait certainement pas arrangé les choses... Il ferait ce qui était en son pouvoir pour les arranger...
Lorsqu'il souleva à nouveau les paupières, l'ange était à la place de Feyzin, dans le corps même du jeune elfe... Il avait donc confiance à ce point... ? Au dessus de lui, un visage plutôt familier, qui ne manqua pas le reconnaître derrière les faux-semblants...

- Toi, je te connais... Toujours doux rêveur, Evanescent...

Quelle sensation étrange de s'entendre parler avec la voix d'un autre... La voix de Feyzin... Adiel n'était pas à sa place... Il revint doucement dans son propre corps, laissant l'initiative des évènements au possesseur véritable de l'enveloppe qu'il quittait...
L'ange glissa doucement son nom dans les interstices de la pensée du jeune homme avant que celui-ci ne sorte de sa torpeur... Adiel... L'ange entendit son nom s'immiscer dans les rêves de Feyzin, ses lèvres le prononcer, comme un espoir tenu secret... Redevenu prisonnier de lui-même, l'ange sourit...

Les yeux posés sur les murs de sa sombre geôle, le Gardien des Âmes restait en relation étroite avec celle qu'il aimait à cajôler, prêt à intervenir par l'intermédiaire du membre si gentiment offert... Le forgeron s'était relevé, et après un court échange avec le demi-ange volage, s'apprêtait à faire face...
Adiel n'était même pas sûr que l'elfe ait eu conscience de ce qui venait réellement de se passer... L'archange aurait pu utiliser le corps du jeune homme à sa guise... s'il l'avait décidé... Car le forgeron lui avait laissé l'entière disponibilité de son corps et de son esprit... ce qui était toujours le cas... Mais Adiel n'en profiterait pas, n'abuserait pas ainsi de la confiance qui lui était si innocemment accordée...
Attentif, l'archange en éveil surveillait, en accord parfait avec la conscience de son hôte, les faits et gestes de leur ennemi... Aucun doute, il ne tarderait pas à entrer pour de bon dans le jeu...

-> Tylen -> Ruelles -> Un prince vaut mieux...

J'ai...

Un choc.

- ... tué...

Les premiers mots que sa gorge prononçaient depuis bine longtemps. A peine murmuré, prononcés pour lui seul, audibles par lui seul, laissant sa phrase inachevé dans l'esprit de Feyzin...
Consternation.
Il était revenu dans son corps aussi soudainement qu'il avait réalisé l'enfer théâtral qui finissait d'achever en flammes ardentes le tableau peint d'illusions...

Le corps de l'ange... tremblait. Les yeux fixés au plafond, Adiel ne tenta même pas de se calmer. Ce qu'il avait commis... il ne l'avait même jamais imaginé... Ses paupières masquèrent douloureusement ses yeux.
Lorsque qu'il les rouvrit, l'obscurité avait laissé place à ces flammes éternelles née d'une torche indécente et volage qui l'accusait. Elle le dévora lentement, en fond des cris de souffrance et de peur, ses cris. Ses ailes fragiles se consumèrent en un instant, ne laissant que des paillettes multicolores qui se dispersaient au vent...
Puis le feu moqueur se répandit autour de lui, le noyant d'eau gelée qui dessina une toile dans laquelle il était déjà prisonnier. De cet avenir, il voyait un ciel de constellations parsemé, magnifiques notes mortelles. Une araignée s'approcha de la proie embobinée, elle n'avait que cinq pattes, une tranchée à la base, d'autres blessées, dégoulinant sur lui de sang puant. Une odeur de méchoui détestable.
L'araignée inhumaine et vicieuse avait le visage d'un boucher réjoui de voir un si beau quartier déjà servi. Ses hachoirs se levèrent au dessus de la tête d'Adiel, s'apprêtant à le couper en rondelles d'ange, la torche derrière lui crépitait d'anticipation. Le rêveur plissa les paupières, pour ne plus voir le visage grimaçant, attendant la faux.
Le premier coup sonna, traversant d'une flèche d'amour empoisonnée le cœur du Veilleur qui cria, yeux grands ouverts, son corps tendu comme à l'agonie. Ce cri sans son déchira l'espace et le temps, atteignait les tympans sensibles de l'âme en détresse. Adiel ne retint pas ses larmes.

Feyzin...

De nouveau en contact avec le jeune forgeron, l'ange le retrouva dans les limbes, proches de sa conscience sans appartenir à son rêve, il le cherchait, l'appelait désespérément, à la folie...

Pardonne-moi...

Dans cette non-dimension, Adiel s'approcha de l'esprit en deuil et perdu, le caressa de ses voiles éphémères, lui redonnant un peu de chaleur. Il lui parla à voix basse, lui murmura des paroles rassurantes, lui promit de ne plus jamais partir ainsi.
L'elfe était sans forces, et touchait la limite d'un coma qui ne lui était pas destiné... Adiel continua à le bercer, et le ramena lentement, avec douceur, jusqu'à une bulle dont il pourrait se sortir seul. Dans cette prairie qui avait été la scène de leurs premières rencontres, le Gardien s'effaça, rongé de remord et de culpabilité.

De retour dans sa cellule corporelle, Adiel garda un œil sur Feyzin, sa conscience était mal en point... Abandonnée soudainement, elle s'était penchée au bord du précipice, son corps détendu l'aurait suivi... Il avait failli mourir... à cause de son aveuglement et de son égoïsme... Il n'avait pas entendu son cri, empourpré de désespoir, même s'il le percevait maintenant...

Ne me laisse pas !

Les gouttes d'eau qui perlaient à ses yeux s'évaporèrent en un mince nuage qui tourna autour de son corps las, simple image qui répandait la pluie sur la glace en train de fondre.

Pardonne-moi... et je t'en prie...revis...

Un vent doux soufflant de tendresse étreignit encore l'âme de l'elfe, qui lui répondit enfin... Les yeux à nouveau clos soupirèrent, éteignant l'illusion comme le vent léger qui souffla les chandelles mourantes, laissant l'ange dans une obscurité totale, presque rassurante. Son esprit ne parviendrait peut-être pas à trouver sa paix, mais il veillerait sur celle de son protégé jusqu'à son réveil...