Un prince vaut mieux que deux tu l’auras.. [SOS prince 2nd]

Cette lumière... Il la connaissait si bien... La lumière du jour, légèrement tamisée par ses étroites fenêtres parvenait enfin jusqu'à ses yeux endormis. Le Soleil s'était levé une nouvelle fois. Il percevait ses rayons au travers de ses paupières closes, non plus cette fois par la vision de son esprit. Il le savait. Il avait enfin refait surface. Au bout de combien de temps ? La question ne lui effleura même pas l'esprit. Une voix familière lui parvint, aimable, presque affectueuse. Un geste tendre... Se pouvait-il que... ? Non, impossible.
Lentement, Feyzin ouvrit un œil, puis l'autre. Il regarda d'un regard neuf son petit appartement, sans qu'il puisse expliquer pourquoi, il lui semblait changé. Puis son attention fut portée à l'émetteur de la voix. Ses yeux s'ouvrirent tout grands, le forgeron avait émergé en un sursaut. Mais l'on ne pouvait ressentir aucun enthousiasme à sa réaction, car le jeune homme avait dégluti, et reculé instinctivement jusqu'à la tête du lit, plaqué au mur.

- Pas toi... Non...

L'elfe aux yeux verts fixait sans ciller l'ange à son chevet, une expression de peur soutenue sur le visage. Insensible à son incompréhension et son aura bienveillante, il appréhendait visiblement la réaction de son sujet d'observation. Constatant qu'il ne faisait rien, il glissa lentement sur le côté du lit, avec prudence et hésitation, surveillant les moindres faits et gestes de son hôte indésirable.

- Pourquoi reviens-tu me hanter ? Que me veux-tu ?

L'elfe tremblait. La terreur sourde qui lui nouait les entrailles ne lui laissait aucun répit, drainant les quelques forces qu'il avait réussit à rassembler, et qui lui manquaient pour se mouvoir aisément. Il était obligé de s'appuyer sur le bois de son lit et au mur pour ne pas tomber. Malgré cela, il tenait toujours tête à cette aberration qu'il voyait à nouveau dans sa chambre. Mais cette fois, ce n'était pas un rêve...
Dans la tête du jeune homme désorienté, les questions se succédaient par saccades. Quel intérêt avait cet ange à le tourmenter ainsi ? Son plaisir ? Il ne voyait que ça... Cette fausse gentillesse, ces attentions déloyales... Il y avait déjà goûté, et n'en redemandait pas. Mais il l'avait déjà compris, l'ange jouait avec lui, aimait le voir trembler de peur, courir pour le fuir, et lui le poursuivre... La dernière chose qu'il souhaitait était que cela recommence. Mais que pouvait-il faire ?

Ayant continué de reculer progressivement, l'artisan flagellant sur ses jambes incertaines finit par buter contre quelque chose. Sa faiblesse l'empêchant d'assurer son équilibre, son corps se reversa vers l'arrière, et son crâne vint cogner le bord de la baignoire. Mais, trop conscient du danger, de la présence de cet étranger suave et sournois, son esprit resta à flot, et le visage du forgeron n'exprima aucune douleur. Il parla, depuis la position inconfortable et ridicule que sa maladresse lui avait fait adopter, avec le plus de fermeté et d'autorité possible.

- Vas-t-en...

Cet effort était vain, il ne le savait que trop. Son corps épuisé ne le laisserait pas résister, il redeviendrait la chose de cet être vicieux et maléfique... Alors qu'une mèche blanche retombait à sa place, Feyzin eut enfin un éclat de lucidité. Il y avait cette aura si pure qu'il sentait... Les yeux mi-clos, menaçant de sombrer à nouveau, l'artisan implora son gardien de sa voix déclinante.

- Que ce cauchemar cesse enfin...

Finalement, l'elfe toussa crachant un peu de sang sur l'émail écaillé. Mais la réponse à sa prière ne venait pas. Il n'y avait que le regard intrigué et inquiet de l'ange et ses compagnons. Feyzin ne les voyait déjà plus.

Evanescent expliqua. Et Keredrin comprit qu'il était impliqué dans quelque chose d'immense. Peut-être un peu trop. La prophétie et l'histoire que venaient de raconter le demi-ange le remplissaient d'angoisse et d'horreur quant à l'expérience abominable qu'il avait pratiqué lors du recensement aussi bien que son but final : empêcher quelque chose de pire encore. Mais comment faire la balance entre le positif et le négatif ? Mais surtout, l'homme savait qu'il ne pourrait pas se défiler : il était déjà pris dans le tourbillon des évènements. De toute façon, il ne connaissait aucunement ce monde : que pourrait-il bien faire s'il s'agissait de se cacher ou d'échapper à une guerre. Et surtout, peut-être pourrait-il, au coeur de cette lutte entre puissances, trouver l'une d'entre elle détenant la solution à son problème. En attendant, mieux valait suivre les deux autres et pourquoi pas, tenter de se renseigner prudemment. Alors qu'il se faisait ces réflexions, le guerrier sentit la magie. Toute proche. Et en effet, les corps inertes des Phénix... disparaissaient. Ou plutôt, se métamorphosaient, en plumes volatiles qui se couchaient doucement sur le sol de l'église, sans bruit.

Evanescent semblait lui-même chercher une explication, et l'épéiste comprit qu'il n'en tirerait pas de lui, et que ce tour étrange n'avait aucun rapport avec ses propres dons magiques. Au dessus de leur tête, dans la voûte que scrutait le dieu incarné, une ombre volait, virevoltait dans l'ombre, avant de sembler se poser dans un recoin obscur et impénétrable. Ses deux yeux, que Keredrin devinait bleus glacés l'observaient et le percèrent pendant quelques longues secondes, avant de se tourner vers le demi-ange et de lui laisser un étrange message. Mais l'homme se sentait troublé, alors que gracieusement, une silhouette d'ange aux ailes noires s'échappait de l'église en brisant un vitrail dans un tintamarre de bruits de verre. Une étrange source de couleur trônait sur le front du visiteur mystérieux, et le guerrier avait du mal à en détacher le regard, et ressentait désormais une forte curiosité.

Un peu plus tard, alors que naissait l'aube, les trois compagnons sortirent de l'église. Le dieu incarné avait récupéré ses deux lames, ainsi que l'un des sabres du chef de Phénix ; il espérait réussir à reproduire son ballet aérien. La cape de l'assassin, elle, avait été consumée et on ne pouvait plus rien en tirer. Le demi-ange leur proposa une sorte de bénédiction qui guérirait leurs maux, leur demandant seulement de fermer les yeux. Quelque peu méfiant, Keredrin s'exécuta et sentit alors un index se poser sur son front. Une langue étrange rythmait la scène, murmurée par Evanescent, et l'homme attendait de voir ce qui allait se passer. Et c'est alors qu'il sentit. La magie l'envahit ; même les yeux clos, il sentait l'énergie courir sur sa peau et la lumière panser ses plaies. Quand il sentit que tout s'apaisait et que la vitalité débordante qui l'inondait se calmait, l'épéiste ouvrit les yeux, se sentant en pleine forme. Quand le demi-ange lui proposa d'aller se changer avec des vêtements de moine, il fit la grimace pendant quelques instants puis accepta ; mais il garda en-dessous son robuste vêtement de combat au cas où.

Ils partirent alors dans la ville, à la recherche de ce fameux prince Färvien, accostant pour commencer des gardes. Le prêtre leur demanda alors s'ils savaient quelque chose à propos du prince Färvien ; ils leur confirmèrent qu'il avait disparu. Cela ne semblait pas les déranger plus que ça, et le dieu déchu fut étonné de tant de désinvolture, bien qu'il semblât que ces fugues soient régulières. Tout de même, il s'agissait d'une altesse princière, et on les rues de Tylen valaient celles de toutes les grandes villes en matière de sécurité, soit, presque nulle, surtout dans le quartier pauvre où on pensait que le jouvenceau s'était perdu ou volatilisé. Keredrin était également étonné d'un tel manque de prudence de la part de la royauté : un prince de sang ne se balade pas dans les tréfonds de la ville sans au moins un garde du corps, ou, d'une manière plus générale, ne s'y rend pas. Il aurait facilement pu faire quêter le forgeron ou lui faire parvenir sa commande. Après s'être fait ces réflexions, l'épéiste se demanda d'où venait exactement ce savoir ; il avait presque la réponse sur le bout de la langue, mais elle s'évanouit aussi vite qu'elle était venue.

Ils repartirent donc courir la ville, après que les gardes leur eurent vaguement indiqué la direction et dispensé leur bénédiction. Leur marche dura longtemps, en grande partie à cause du marché, qui tapait singulièrement sur les nerfs du guerrier. Ce brouhaha ambiant et cette foule de gens le gênaient et il se sentait presque écoeuré par tous ces contacts. Aussi, quand un marchand de poisson vint à harceler Scribs pour un poisson visiblement frelaté, le dieu déchu le rabroua sèchement, bien décidé à faire passer sa mauvaise humeur sur quelqu'un. Et un fou criait à qui voulait l'entendre que les anges étaient les hérauts de la fin du monde, attirant quelques personnes en mal de fadaises. Mais c'est après s'être renseigné auprès d'une boulangère qu'ils ne se dirigèrent vraiment directement en direction de la maison du forgeron, passant pas une petite ruelle bien plus calme que celles qui abritaient le marché. C'est ainsi qu'ils arrivèrent dans les appartements de l'artisan. Ils étaient étrangement exigus pour quelqu'un qui bénéficiait d'une bonne réputation telle que la sienne ; mais ce que Keredrin remarqua tout d'abord, c'est le bout de parchemin qui traînait sur un meuble. Il le lut rapidement à haute voix : il s'agissait probablement d'un mot de Färvien. Pourquoi semblait-il ne pas savoir ce qu'il faisait ici alors qu'il y était venu était un mystère.

« Peut-être que le forgeron et lui ont désiré se servir un apéritif qui s'est tant prolongé qu'ils sont tombés en coma éthylique, et que le prince, à son réveil, n'avait aucun souvenir de la veille, proposa, en plaisantant à moitié, Keredrin »

Mais le forgeron était justement entrain de se réveiller. Il ouvrait doucement les yeux. Mais alors que l'épéiste s'attendant à le voir végéter entre l'inconscience et le monde réel, l'artisan eut comme un sursaut. Son visage, loin d'être reposé, était... effrayé. Comme s'il émergeait d'un cauchemar. Et il s'écartait d'Evanescent, visiblement terrorisé par cette figure. Etait-ce simplement une hallucination ou plutôt une peur issue d'une rencontre précédente avec l'ange, comme par exemple pour le fameux recensement ? Le guerrier n'aurait su le dire. Alors qu'il venait de tomber, ayant à l'évidence du mal à coordonner ses mouvements, le forgeron demanda de l'aide au prêtre... Le dieu déchu n'y comprenait goutte.

Scribs avait suivit les deux autres membres du groupe de recherche. Il se sentait en meilleure forme que la veille, le sort employé par Evanescent était très efficace. Lors de leur petite ballade sur le marché Scribs avait été importuné par un vendeur de poisson. Ne voulant pas attirer l'attention des passants Scribs avait tout d'abord essayé de refuser gentiment le poisson, certainement avariés, que l'homme lui proposait. Mais celui-ci était bien plus entêté qu'il n'y paraissait et sans l'intervention de Keredrin l'échange entre le vendeur et Scribs se serait éternisé.

Malgré ce petit incident le reste de leur parcours se déroula sans embûche jusqu'à arriver devant l'atelier d'un forgeron, dernier endroit ou le prince était censé s'être rendu. A l'intérieur de l'atelier les trois compagnons ne trouvèrent pourtant aucun signe du prince, si ce n'est une lettre adressée au forgeron.

*Il a l'air fort doué ce prince...*

Après avoir lu à haute voix la lettre, le prêtre alla s'occuper de réveiller le forgeron. Les réactions de celui-ci auraient presque pu donner raison à Keredrin lorsque celui-ci avait parlé d'une soirée bien arrosée. Les échanges entre le forgeron et Evanescent semblèrent durer une éternité aux yeux de Scribs. Lorsque celui-ci fut présenté comme une elfe ménestrel-journaliste il inclina légèrement la tête pour saluer le forgeron. Après ces brèves présentation Keredrin pris la parole encourageant l'homme quelque peu déboussolé leur indiqué l'emplacement actuel du prince.

*M'étonnerait fortement qu'il sache où il est... Au vu de la lettre.*

Après s'être courte réflexion qu'il préféra garder pour lui Scribs se mit à étudier le forgeron. Il faut avouer que des êtres... bizarre il en avait vu, mais ce forgeron... Sa peau était bien plus foncées que la plupart des gens, presque noire, tout comme ses cheveux. Des êtres avec ces particularités physiques on en rencontrait peu dans les rues de Tylen. Par cette pigmentation anormale il se rapprochait quelque peu des elfes noirs.

*Je me demande la raison de cette couleur de peau... Originale...*

Comme à son habitude Scribs sortit son carnet de voyages et commença à écrire, écrivant tout ce qui s'était passé depuis leur rencontre avec leur forgeron, c'est-à-dire pas grand-chose et ensuite une rapide description de ce dernier.

Scepticisme et suspicion. Telles étaient les émotions qui hantaient l'esprit noyé de Feyzin tandis que l'ange lui offrait un peu de mieux-être. Etait-ce un nouveau jeu ? Une nouvelle manière de le tourmenter ? L'ange l'avait vite compris et utilisé à son avantage, la moindre manifestation de magie le rendait souffrant, fait à peine compensé par son aura dénaturée... Pourtant, indéniablement... il le soignait. Guérison inutile puisque le mal n'était pas ciblé, mais le forgeron ne s'en sentait que ragaillardi... et troublé.
Le jeune elfe était resté immobile lors de l'opération, tout d'abord par faiblesse puis par crainte, à présent mêlée d'un curiosité malsaine. Avait-il un intérêt à agir ainsi ? Lorsque le contact cessa enfin, ses membres réussirent à se détendre, les tremblements se calmèrent. Le regard de l'artisan s'en trouvait subtilement changé, comme si une erreur avait teinté sa vue. Il n'en restait pas moins méfiant, ses yeux aux nuances changeantes des eaux profondes fixés sur cet être paradoxal...
Une éternité passa avant que la scène ne reprenne un peu de mobilité, le jeune homme se décida enfin. Mais de sa bouche entrouverte ne sortit aucun son, son interlocuteur avait senti le moment opportun pour intervenir tout d'abord.

- On me nomme Evanescent, je suis prêtre du culte d’Ilo et je suis...
- Un ange ?

De ses lèvres prêtes à parler s'échappèrent... une question. Pour Feyzin ce n'était rien d'autre qu'une affirmation, pure et dure. Son cerveau embrouillé n'avait nullement anticipé sa propre réaction, et l'artisan n'avait en aucun cas été attentif. Le nom n'avait pas été relevé, passé à la trappe. Il s'en souviendrait plus tard. Il avait interrompu l'être de lumière et en voyait les conséquences venir bien trop tôt... Un rapide regard de biais, attiré par quelque infime mouvement avait repéré l'agitation des compagnons de l'ange. Qu'importait, c'était si flagrant. Le concerné ne semblait pas plus ravi d'entendre ce qui semblait être une révélation. Etonnant.
L'ange croisa les bras avec une certaine majesté, emprunt d'une dignité que le jeune homme ne lui reconnaissait pas pour continuer sur son raisonnement. Mais qu'importaient ses théories, Feyzin ignorait par lui-même où il voulait en venir... Il haussa un sourcil dubitatif. La "nature cachée" était un bien grand mot pour désigner cette aile unique qu'il s'évertuait à présent de masquer... Ainsi, ce fut un mutisme moqueur qui lui répondit, avec l'appréhension de voir l'ironie se retourner contre lui...

La réponse se faisant attendre, l'ange finit par céder, face au silence trop éloquent de son hôte. Il se retira vers son compagnons avant de lui faire part de sa requête. A partir de là, l'esprit encore enchevêtré dans ses divagations nocturnes commença vraiment à douter.

Färvien ? Que venait-il faire dans cette histoire ? Le forgeron regarda brièvement la feuille tenue entre les mains de l'ange. Etait-ce le courrier dont il parlait ? Il n'en avait nulle connaissance... Et... il ne le connaissait pas ? Quelle mouche... ?
Un instant, le forgeron se laissa aller dans sa molle réflexion. Mais il y retrouva de l'intérêt. Dans un élan de curiosité presque désespérée, il tendit la main. Sa voix fut presque autoritaire, même si l'initiative avait déjà été prise. Et le vouvoiement avait étrangement reprit sa place dans son discours.

- Donnez-la moi.

Il se saisit sans grande conviction de la missive. Alors qu'il déchiffrait les mots qu'il voyait pour la première fois écrits, sur cette feuille précieuse à peine retenue par ses doigts soudainement gourds, son principal interlocuteur crut le moment bien choisi pour présenter ses compagnons. Feyzin s'en fichait.

La lecture du papier mit fin au tourment de ses soupçons, en même temps que de faire fondre ses barrières en ces quelques gouttes qui restèrent discrètes sous ses paupières. Il les rouvrit finalement et leva les yeux, pour dévisager à nouveau l'intrus, mais sans plus aucune arrière pensée. Il avait dit la vérité... Un mélange d'incrédulité, de soulagement, presque... de la joie. Mais il était incapable de commenter, ni même de répondre à la question, malgré ou peut-être à cause de tout ce qui lui passait par la tête.
Ce fut donc la parole d'un jeune homme complètement désorienté, perdu dans ses peurs et assis dans une baignoire qui anima sa langue. Elle veillerait sans doute à embrouiller à son tour le raisonnement de ses auditeurs, liée à une logique qui ne se comprenait pas si facilement. Ainsi, en une seule phrase, Feyzin trancha dans le vif de l'évidence.

- Vous... n'êtes pas des serviteurs du nécromant...

A l’élocution du forgeron, Evanescent qui n’avait pas encore quitté sa main meurtrière lancée au milieu de son champ de bataille capillaire, fit des yeux ronds avec charme certain.
L’artisan perplexe et définitivement perdu dans sa propre élucubration interne, avait lâché sans le savoir dans l’assistance des renseignements au combien troublants.
Quel lien pouvait t’il retenir avec l’armée du Lord nécromant, la prudence était de faite et Scribs était prêtre déjà à sortir un appareil photographique imaginaire pour immortaliser le scoop de l’année, s’attendant sans doute à ce que l’un de ses précieux serviteurs verts, sorte de derrière un meuble ou d’une fenêtre pour embarquer Feyzin sur un cheval squelette cliché en sortant une phrase péremptoire du genre : Vous allez tous mourir !
Mais comme il ne se passait rien, et que l’action était définitivement absente de l’enceinte de l’atelier, la main de l’ange abandonnant son charnier ; il y eut un seul mouvement d’air à partir de la porte laissée ouverte qui lui fit soulever ses phanères blancs cendrés victorieux.
Son aile unique dans le dos moulant les plis de sa robe blanche fit surprise à ses deux compagnons qui le regardaient de derrière ; puis lentement avec un effet négligé dans l’alizé avare, les plumes s’ascensionnèrent pour finalement être vu de devant par l’homme charbon.

-« En avons-nous vraiment l’air ? »

Cela paraissait évident, peut être un peu trop pour l’homme d’une exceptionnelle élégance confuse, entretenu avec une grâce qui elle n’avait rien d’humain.
Evanescent sourit, croyant alors comprendre l’illusion entretenue par Feyzin et ses oreilles bien trop courtes.

-« Si je suis un ange, vous n’êtes pas vous-même un fils d’Adam… »

La scène avait de cocasse que l’ange faisant son annonciation à une vierge noire, les différents protagonistes étaient alors en pleine méditation sur les derniers mots prophétiques.
Dans le plus cruel des immobilismes, la plus belles des statues de sels ne quittait pas son sourire d’un pur don de gratuité bienveillante ; et dans le souffle de la salle, ses vêtements et son aile perçaient l’incroyable en se déplaçant à toute allure dans une lenteur consommée du plus bel effet.
Evanescent ne bougeait pas d’une ride, mais un mouvement perpétuel semblait se cacher imperceptiblement dans la marée de ses vêtements blancs, le forgeron s’attarda un moment avant de répondre, comme absorbé par cette contemplation.
Ce qui permit au prêtre d’enchainer.

-« Quels sont vos liens avec ce roi et ses serviteurs, pouvons nous vous faire confiance vous qui êtes son geôlier… »

Evanescent ne cilla pas, il fixait les pupilles de l’homme qui n’en était pas un, cherchant dans sa connaissance scientifique de l’âme humain un doute sur leurs plus beaux reflets qui lui dirait de se méfier de lui.
En définitive il préférerait avoir pleine confiance dans cet homme remarquable, qui n’était pas sans lui rappeler Raphael…
C’est pourquoi il ne quittait pas l’éclat de ses lèvres roses et ses yeux rieurs derrière l’intelligence de sa démarche, propice à la confidence ; le prêtre d’Ilo était en effet rodé aux mécanismes de la confession.

-« Nous cherchons le prince, mais nous ne sommes sans doute pas seul sur ce terrain, Algarys la plus belle des prêtresses damnés a été vue il y a peu avec ce dernier… »

Evanescent fit passer un temps nécessaire à l’effet de sa diction, dans ses propres rangs qui lisait dans son dos de l’incrédulité.

-« Ma princesse était très en colère contre lui, le premier jour de mon retour au château… »

Il se retourna un moment en biais vers Keredrin en bure, et Scribs qui écrivait à toute allure des informations utile comme : La pièce fait 6 mètres 34 sur 10 mètres 78, et la hauteur au plafond est de 3 mètre 55, les murs sont de granit noir et on peut voir ici la marque de l’architecte mort il y a 400 ans étouffé par son édredon…

-« Oui c’est l’explication non officielle que je vous avais omise, le prince Färvien, c’est accoquiné avec l’autre camp d’une curieuse façon qui mérite une étude plus approfondie… Nous avons peur qu’il ne tombe à l’ennemi.»

Présentant alors son œil expert en direction du forgeron.

-« Voilà pourquoi, il me faut savoir dans quel camp vous vous situez… »

La question était traite, car sans le savoir l’artisan ne faisait historiquement partit d’aucun camp, ils attendaient tous maintenant que Feyzin soit convainquant pour les rejoindre, mais en avait t’il seulement envie…
Evanescent laissait là une ouverture, comme la porte derrière lui que cachait son aile autrefois meurtrie, et espérait secrètement ne pas avoir à faire un autre affrontement avant cette nuit…

Réaction attendue, qui surpris pourtant l'intuition de Feyzin. Etonnement et stupéfaction, telles fut sa récompense pour cette révélation. L'œil vert trop connu du forgeron ne lui laissait aucun répit, il le dévisageait à présent sans comprendre la signification de ses mots. L'artisan dérouté ne bougeait pas, son regard perdu dans celui de l'ange incrédule, qui faisait tout honneur à l'immobilisme de cette scène. Personne ne semblait vouloir rompre le silence, jusqu'au moment où l'être céleste relâcha le voile.
La main céleste fit naître un léger vent qui souleva les plumes cendrées, dissipant les dernières angoisses de l'elfe alarmé. Les plumes illuminées à ses yeux n'innocentaient pas son interlocuteur, mais quelque chose dans le port de cette aile unique et sans défaut qui le différenciait du cauchemar que le jeune homme avait cru voir... Plus aucun doute à présent, il avait fait erreur sur la personne.

La question fit survenir un sourire timide en guise d'excuse. Toute crainte envolée, le jeune homme tenta de se détendre. Mais ses yeux ne pouvaient se détacher du visage familier, refusaient d'oublier cette ancienne appréhension. Le forgeron n'en était que plus dérouté, de nouvelles interrogations s'imposaient à son esprit indocile et perturbé.
Mais si le trouble de l'elfe pouvait se lire aisément dans le silence des profondeurs aquatiques, la perspicacité de l'ange lui permit au moins de sortir de son mutisme, fut-ce avec hésitation. L'affirmation - correcte - lui avait remis quelques idées en place, et donné l'envie d'intervenir cette fois.

- Vous avez vu juste, je ne suis pas humain...

L'être ailé s'était rapproché sans en avoir l'air à une vitesse stupéfiante, ce qui coupa l'élan de Feyzin. Il n'eut pas eu le temps de terminer son explication interrompue dans la précipitation. Assis de façon misérable, il n'avait même pas réussi à retrouver un peu de dignité, qui lui manquait en cet instant... L'ange le jaugeait d'encore plus près, et même si le jeune homme avait une conscience aigüe de sa véritable nature, il ne pouvait s'empêcher de trembler au souvenir de ce que son double lui avait fait...
Sa paix intérieure à nouveau compromise lui fit perdre ses mots, et bégayer au point qu'il préféra se taire. Ses lèvres closes firent sourire l'être majestueux, qui profita de son hésitation pour lui poser de plus en plus de questions. Un véritable interrogatoire... Embarrassant. Tel était donc l'effet de se voir dévisagé... Pire que ça... Le jeune homme avait la nette impression que l'on tentait de le mettre à nu... Mais cette fois-ci, bien décidé à ne plus perdre le fil de la conversation, Feyzin attendit patiemment la fin du discours de celui qu'il qualifiait désormais comme prêtre et étranger. S'il pouvait mieux assimiler ce qu'on attendait de lui, remettre un peu d'ordre dans ses pensées et formuler une réponse cohérente, le jeu en valait la chandelle. Malgré tout, le cerveau mal conditionné du jeune homme lui fit omettre la moitié des éléments... Ce fut pourtant calmement, malgré une voix qui trahissait encore son manque d'assurance qu'il tenta au mieux de contenter l'enquêteur.

- Vous recherchez le petit prince ?

Question évidemment inutile et imbécile, que Feyzin tenta bien vite d'effacer en se relevant. Lentement, il n'était vraiment pas au mieux de sa forme... Debout, il se sentait cependant mieux. Parler en face à face à celui qui ne cessait de l'observer suffisait certainement à cette sensation. Le jeune homme n'aimait pas se retrouver en position d'infériorité. Et il avait à présent l'esprit beaucoup plus clair. Un sourire légèrement narquois fixa les yeux clairs qui tentaient de percer son mystère. Si c'était une bataille, contre celui-là il avait une chance de gagner...

- Vous avez l'air de connaître bien des têtes couronnées...

L'elfe devait pourtant bien l'avouer, il ignorait que Färvien ait été réellement un prince... Pour lui, il ne s'agissait que d'un surnom un peu idiot. La révélation n'était pas grande, mais Feyzin baissa les yeux, méditant à haute voix.

- Il serait du côté du nécromant... Cela expliquerait beaucoup de choses...

Revenant à la réalité rapidement, comme s'il avait oublié juste l'espace d'un instant la présence de ses hôtes, l'artisan répondit bien vite à l'interrogation principale, ses yeux lagunes portaient la marque de la vérité.

- Färvien est mon client. Un de mes clients. J'ignore pourquoi il a écrit une telle missive...

Feyzin regarda le parchemin qu'il tenait toujours, son manque d'attention et sa frustration l'avaient froissé. Son regard revint se plonger dans celui de l'ange. S'il était comme celui qu'il avait déjà rencontré, aucun accent ne lui échapperait.

- ... et je ne sais pas où il est parti.

Le mensonge lui était étranger en ces mots, mais la confiance restait précaire. Feyzin savait déjà que d'autres questions viendraient, car il n'avait pas tout dit. Des preuves de ce qu'il avançait, ou simplement ce qui était resté en suspens. Mais il était prêt à y répondre ou à éluder, selon ce qui lui conviendrait.

L'ange était bien peu satisfait. Le serviteur d'Ilo semblait s'attendre d'autres réactions de sa part, il en percevait presque de la déception... Le curieux abandonna pourtant ce jeu de sourds pour avoir une réponse plus immédiate et explicite. L'être ailé incanta brièvement, et ce fut avec une surprise certaine que Feyzin vit sa peau passer d'un noir relatif à un blanc cassé.
Le jeune homme n'avait pas compris - ou mal interprété - le regard précédant le sort, mais il n'en était finalement pas si mécontent. Il se sentait en cet instant précis presque "normal". Si cela pouvait durer... Mais l'ange qui avait donné l'explication à cette feinte en avait décidé autrement, et l'illusion disparut bientôt. L'elfe regarda ses mains revenir à "sa" normale et soupira. Il ne fallait pas trop rêver. Il était né ainsi, il restait ainsi. Il n'existait nulle possibilité de se voir un jour autrement...

Cette fois-ci, le céleste avait abandonné sa méfiance faussée envers lui. Cela semblait tellement étrange. Quelque part, Feyzin restait toujours convaincu que cet ange le connaissait... Alors pourquoi être soupçonneux ? Il secoua la tête avec lassitude. Encore cette impression résiduelle dûe à cet ange maléfique... sans doute...

La petite scribe, discrète, presque absente derrière son carnet, conclut tranquillement sur l'affaire qui les concernait. Le jeune artisan acquiesça silencieusement. L'ange recula en résonance vers le porte entrouverte, non sans jeter un œil vers Feyzin.
Sa conscience éveillée, l'elfe ne put s'empêcher de remarquer la mélancolie ambiante. Décidément, celui-là n'avait rien à voir avec l'autre... Il se demandait bien comment il avait été capable de les confondre. La torpeur du réveil ? En voyant cet ange, cela ne semblait être qu'un mauvais rêve... Le croirait-il ? Pourrait-il seulement le partager ? Peu importait. Il l'attendait.
L'artisan s'avança à son tour vers la porte d'un pas légèrement chancelant, acceptation muette de la proposition de l'être. Il ne le quitta cependant pas des yeux, et s'arrêta finalement avant d'avoir passé la porte. Il fixa les yeux verts plus intensément encore, comme pour discerner la véritable intention qui se cachait derrière cette invitation.

- Pourquoi recherchez-vous Färvien ? Il est porté disparu ? Depuis quand ?

La pensée que se rendre chez un forgeron de la basse ville ne faisait pas partie des habitudes de la famille royale ne lui avait pas effleuré l'esprit. Il ne se sentait en aucun cas coupable de cet état de fait, mais s'inquiétait de savoir s'il avait pu lui arriver quelque chose de fâcheux pendant son inconscience... Mais sa véritable interrogation restait masquée. Aussi n'attendait-il pas vraiment que l'ange ouvr la bouche. Le papier froissé dans sa main nerveuse lui rappela soudain un détail dérangeant, il le lorgna quelques instants.

- Je me demande surtout pourquoi il ne se souvient pas de moi... C'est pourtant lui qui...

Réagissant à une révélation intérieure, Feyzin releva la tête et parcourut rapidement les quelques pas qui le séparait de sa table de travail. Il y rassembla quelques feuilles éparpillées pour les emporter ensuite avec grand soin.

- Peut-être que ceci pourra lui rafraîchir la mémoire...

Le regard vagabond de l'artisan rencontra un éclat sombre qui l'attira subitement. Le visage sans expression contempla un instant son œuvre, l'épée noire qui n'aurait pas dû se trouver là. Il longea une nouvelle fois les murs et la souleva, attachant autour de ses épaules la bandoulière qui la rendait inutilisable en l'état. Il revint vers l'ange ne pouvant retenir une petite pointe de fierté qui se lisait dans son sourire. Il tourna ensuite le dos à la sortie pour escorter ses hôtes au dehors. Il ferma derrière eux les portes de l'atelier et de la chambre, puis verrouilla l'entrée renforcée de la bâtisse. Les clés disparurent on ne savait où, ses doigts jouaient avec un des anneaux à son cou, faisant tourner le plus petit autour de la chaînette. Feyzin retenait une grimace et un haut le cœur à l'odeur persistante quoique légère, mais s'avança tout de même pour la suite. Dire qu'il avait lui-même une explication à cela...

- Avez-vous le moindre début d'idée pour commencer ?

Le pas léger d'Océane foula le pavé taillé de Tylen. Sous l'apparence du Prince Färvien, la servante de Gabrielle se promenait agréablement sous un soleil doucereux. Un panier ridicule au bras, ce corps drapé de jaune jonquille semblait ridicule. Les habitants le considéraient avec une certaine gayté... dirons-nous.
Océane ne s'en soucia guère. Son but était de trouver le vrai Färvien. Mais en cet instant précis, elle appréciait cette liberté. Grâce à cette apparence elle pouvait respirer... Ne plus être pourchassée par...
Soudain elle ressentit des regards posés sur elle. Elle crut percevoir des yeux vert d'eau l'espace d'un instant... Une chevelure immaculée non loin...
Son imagination? Quoi que... Après tout... Le Prince Färvien avait sans doute des connaissances dans Tylen. Il fallait espérer qu'il ait plus d'amis qu'ennemis... Sans compter que son aura véritable n'était pas dissimulée. Il suffisait qu'une personne la repère grâce à cette maladresse et elle pouvait dire adieu à sa filature...
Elle acheta un paquet d'encens et ne rechigna pas quand le marchand l'escroqua. Mieux valait éviter tout ameutement inutile qui risquait d'attirer l'attention. Elle savait peu de choses sur son modèle. Un abruti de la royauté qui souriait bêtement. Tombait comme un aveugle privé de canne. Parlait comme un garçon d'écurie qui essaie de capter le language snob...
Elle esquissa un sourire de demeuré. Le marchand lui tendit le paquet en se disant que la noblesse actuelle faisait vraiment pitié et qu'il préférait ses conditions, euh, sous-conditions plutôt qu'avoir une intelligence si... médiocre.
Océane poursuivit ses courses. Tomates, navet, kiwis... Parfum au lilas pour Gabrielle.

Son coeur cessa de battre une fraction de seconde. Elle lâcha ses courses qui roulèrent sur le sol. Une sensation de... Elle connaissait cette présence. Son regard benet reprit sa vivacité. Lui... Il était là... Non loin... Elle le sentait!... IL était là!...

Azrael prit son élan et s'élança tel une flèche à l'empennage noir au-dessus du rebord du balcon. Il se mit à battre avec véhémence ses ailes, dont les plumes s'agitaient dans un délicat froufrou. Négligeant ses fantaisies habituelles, il préféra s'élever vers droit vers les cieux, battant de ses longs appendices emplumés avec véhémence. Une fois élevé assez haut, il se laissa nonchalamment porter par les flux d'air tout en réfléchissant à sa prochaine destination. Passant rapidement sur le dos, le temps d'une seconde -la position n'était ni confortable, ni facile à maintenir- il put voir que le soleil était encore que naissant à l'horizon. Il pouvait se permettre de se poser à Tylen pour commencer à coordonner ses troupes... Aussi changea-t-il légèrement son cap vers la ville qu'il avait quitté il y a peu. Il avait déjà l'impression d'entendre le déplaisant bruit de grouillement typiquement humain ; à cette distance et à cette vitesse, ce n'était bien sûr qu'une illusion.

Rapidement, la vague forme lointaine, qui ressemblait davantage à un poulpe anémique qu'à une métropole active, se précisa, laissant apparaître les toits d'une maison ici, d'un cavalier qui traînait une roulotte là. Au fur et à mesure qu'il se rapprochait, l'ange s'élevait, pour ne pas être repéré. Son altitude finit par être si élevée qu'il s'aperçut qu'il flirtait maintenant avec les nuages. Et, ayant repéré l'endroit où il voulait se rendre de sa vue aérienne... se laissa retomber, à toute vitesse. L'air qu'il déplaçait cinglait durement son visage et ses noirs vêtements étaient agités dans une tempête de mouvements anarchiques. Quelques mèches volaient au vent et fouettaient ses yeux tandis qu'Azrael tournait comme une poupée désarticulée.

Alors qu'il se rapprochait dangereusement du sol, il se tendit soudainement dans une position parfaitement horizontale, ses ailes déployées au maximum de leur largeur, de puissants muscles les mettant en mouvement pour brasser l'air et ralentir la chute. Il redressa ainsi pendant quelques instants, avant de se poser avec agilité sur le toit plat d'un bâtiment. Il s'agissait d'un bloc, plutôt laid, de pierre. Aucune décoration ne l'ornait, et les fenêtres étaient réduites à leur plus simple expression. Il s'agissait en réalité d'une ancienne caserne, qui avait été désertée ; les forces de la phalange l'avaient reprise à leur compte comme un lieu de rendez-vous et aménagée comme une petite place-forte. Elle donnait aussi un accès direct au tentaculaire réseau d'égouts.

Une trappe donnait accès à un petit boyau qui traversait le plafond pour permettre d'accéder directement à l'intérieur du bâtiment. Le système avait été conçu pour permettre de monter sur le toit facilement pour pouvoir s'y positionner. En effet, on pouvait de là tirer sur d'éventuels assaillants tout en se cachant derrière la rambarde, assez haute pour cacher un homme accroupi. De plus, le passage vertical qui donnait directement sur le bâtiment était extrêmement étroit et obligeait à se servir d'une corde ; autant dire qu'un assaillant, qu'il descende du toit ou qu'il tente d'y monter, serait immédiatement abattu. Bien qu'appréciant la valeur pratique du dispositif, Azrael ne pouvait s'empêcher d'être énervé alors qu'il se dandinait pour faire passer ses ailes dans l'étroit conduit. Il finit par se lâcher et chuta sur le sol dans un bruit feutré lors que ses pieds se rétablissaient doucement.

Deux gardes se trouvaient dans la pièce d'accès, qui était déjà elle-même une véritable forteresse dans la forteresse. Seul un couloir étroit, coudé pour garantir l'effet de surprise des défenseurs, permettait d'y accéder ou d'en sortir. Les deux soldats de la phalange s'inclinèrent brièvement.

« Corvax. Avez-vous un désir particulier ?
-Conduisez-moi au Père, sans délai. »

Les claquements des pas sur le sol de pierre résonnaient dans les couloirs, seul bruit de cet endroit morne, comme mort. Ils arrivèrent alors dans la Loge où le Père de la phalange était assis à côté de deux corbeaux.

« Père. Je vois que mes corbeaux auront été plus rapides que moi. Êtes-vous prêts à déployer le système ?
-Les premières patrouilles sont déjà positionnées partout dans la ville et nos prêcheurs ont pris place sur les estrades. A la fin de cette journée, Tylen sera sous les verrous.
-J'espère pour vous, mon cher, qu'il ne s'agit pas d'une énième vantardise... l'échec que vous avez subi hier au soir ne me sied guère, et vous le savez.
-N'ayez crainte, Corax. Je me permets également de vous faire une demande : voudriez-vous assister à une intronisation ?
-D'autres tâches plus importantes que de me balader dans les égouts sordides de votre ville me retiennent, dit Azrael après un petit rire dédaigneux.
-Nous pourrions tout aussi bien passer par la surface, et descendre ensuite jusqu'au Spelunca. Cela vous donnerait une occasion de suivre le déploiement de nos premières patrouilles. »

L'ange accepta et un petit convoi, armé jusqu'aux dents, s'organisa. Lorsqu'ils parurent dans la rue, dans leurs tenues martiales de cuir, entourant un mystérieux personnage drapé de noir et au visage caché, les gens s'écartèrent rapidement. Etaient-ce les armes suspendues au ceinturon des hommes ou la noire aura que semblait dégager le personnage central ? A moins encore que la réputation de la phalange n'ait fini par suffire à effrayer le peuple de Tylen. Finalement, sous l'impulsion de l'être encapuchonné, le groupe se mit en marche dans les rues. Ils passaient dans des quartiers plutôt malfamés, et généralement pauvres.

Un profond dégoût envahissait l'ange quand il voyait des mendiants en hardes sales se traîner sur le trottoir et faire l'aumône, le visage marqué par une quelconque maladie, l'haleine puante d'alcool. Des gamins erraient et des anonymes, au visage buriné et à l'air dur peinaient ici et là, à porter des marchandises d'un chariot à un autre ou à construire une maison. Et alors qu'ils se déplaçaient, Azrael stoppa son escorte d'un seul geste.

« Tournons, par ici »

Il lui semblait avoir perçu quelque chose. Les hommes qui l'encadraient semblaient s'interroger mais ne le firent pas en public. En une manoeuvre habilement menée, ils entrèrent dans une rue, qui servait de liaison entre celle qu'ils parcouraient et celle d'où Azrael sentait venir cette étrange sensation. Masqués dans l'ombre d'une maison haute et bancale, ils observaient la foule qui passait dans la rue. L'un d'eux remarqua, à moitié étouffé :

« Cet homme, là... c'est le prince Färvien !
-On peut dire ça comme ça. Bon, je veux quatre hommes derrière moi, qui bloquent cette ruelle, quatre qui remontent de chaque côté pour prendre un autre de ces chemins de traverse afin de bloquer la rue latéralement, et quatre autres qui font un détour pour se placer dans le prolongement de cette venelle, en face de moi. »

Azrael sortit de la venelle, pour déboucher à seulement quelques mètres du « prince ». Ses pas glissaient lentement sur le sol de la rue. Mu(e) par un pressentiment, le noble factice laissa tomber ce qu'il portait, comme stupéfait ou affolé. La main de l'ange sombre se posa sur son épaule...

« Bien le bonjour, princesse... Ah, ma langue aurait-elle fourché ? dit-il avec un sourire diabolique. »

[HRP]Voilà également un petit plan pour vous aider à mieux comprendre : http://pix.nofrag.com/3/4/f/8d81a08c40cb2c20e4930009aff12.html [/HRP]

Une poigne ferme et glacée prit l'épaule d'Océane dans un étau ténébreux.

- Bien le bonjour, princesse... Ah, ma langue aurait-elle fourchée ? dit-il avec un sourire diabolique.

Le minoi d'Océane se figea. La pression de celui qu'elle craignait, qui la terrorisait ; enserrait sa douce épaule camouflée sous ce corps de noble. Evidemment... Sans sortilège, comment dissimuler cette aura que son invité malvenu reconnaissait indubitablement?...
Ce regard effrayant... Elle retint une larme... Quelque chose avait failli remonter à la surface.

- Votre langue assérée ne saurait fourcher.

- Effectivement. Mon ironie semble convenir à la situation il me semble. Mise à part le fait que les hommes qui vous encerclent n'ont pas ma patience.

Il disait vrai... Des brutes avaient bouché toutes sorties prévisibles. L'orage gronda dans les cieux. Les yeux empourprés de l'Ange Porteur de Mort se révélèrent sous un éclair violent. Océane voulut s'échapper. Qu'importait la méthode. Tout s'assombrissait. Les marchands remballaient leur étal. Les gens se dépéchaient de rentrer dans leur logis. Et à cet instant Océane désirait la même chose...
Une fine pluie roula sur son visage. Que pouvait-elle faire?...
Azrel sembla savourer ce tintement macabre. Il dessera son emprise pour étirer son corps de félin. Océane en éprouva un frisson. Elle porta son poignet près de ses lèvres pour se protéger d'une quelconque attaque qui, elle le savait, pouvait lui être fatale.

La pluie s'accrut. Océane leva ses yeux vers le ciel obscur.

- Qu'attends-tu de moi?...

Un sourire calculateur se dessina sur les lèvres du Maître du Jeu. Elle employait de nouveau le "tu" qu'il escomptait. Le désespoir l'accablait donc à ce point? Son influence sur elle ne s'était pas tarie.

- Ma très chère Minriel...

Il lui atrappa le menton entre ses doigts fuselés. Il pouvait la détruire... Il en avait le pouvoir... Elle déglutit fébrilement.

- ...tu pourrais m'être utile.

- Comment cela?...

- J'ai mes ambitions moi aussi. La différence c'est que je ne suis pas suicidaire.

Il la lâcha avec virulence. La foudre le nimbait de mystère. Océane toisa sa silhouette.

- Je ne suis pas suicidaire!... Ma stratégie est....

-...ta stratégie?... C'est ainsi que tu nommes tes bévues?

Une rage enfantine explosa en Océane. Azrael s'en amusa.

- Tu t'énerves pour si peu. Tu n'as pas changée décidément.

- Toi non plus...

- Je prends ça pour un compliment. Revenons à nos affaires. Tu pourrais m'être utile.

- Tu te répètes, à croire que tu te fais vieux.

L'Ange porteur de Ténèbres s'esclaffa.

- Ton arrogance m'amuse. Ton autre toi écoute notre conversation je pense.

Le fait qu'il se souvienne de cet état de fait la froissa.

- Bien! Ne compte pas sur Adiel pour te libérer de toi-même. Il est temps de discuter posément veux-tu?

Avait-elle le choix? Non, bien sûr. Elle écouta sa requête avec inquiétude.

Aile 35 : Déméchage en règle

Ils quittèrent donc la forge prison des âmes troubles, un léger vent suintant dans les effroyables vêtements amples de l’ange qui cachaient de nouveau mais avec faiblesse cette fois, l’incompréhensible aile, unique vestige d’un secret plus lourd qui pèserait bientôt physiquement au dessus d’eux.
Pour le moment il n’y avait que quelques nuages, mais si la matinée avait été clémente, il n’en serait pas de même pour cette fin d’après midi étonnante…
Scribs répondant muettement à l’une des questions de l’artisan, questionnait déjà les passants et les voisins afin d’obtenir une idée de direction où emboiter leurs pas incertains.
Pendant cette latence certaine d’inaction inachevée pour le prêtre, il remit un peu de discipline à sa voile capillaire avec toute la douceur du zéphire brouillant qui s’engouffrait par la ruelle étranglée d’où ils venaient.
Enfin la journaliste revint avec de précieuses informations, apparemment une vieille voisine aux volets indiscrets l’aurait vu se diriger en direction du quartier louche de la ville…

-« Elle m’a confiée également qu’il y avait eut beaucoup de grabuge dans cette rue, des morts et des cris de purge… »

L’espace empestait il encore le sang et l’alcool ivre et dilué au crachin des goulottes spectatrices de la rixe qui s’était déroulée là ; tous se retournèrent vers Feyzin en espérant un commentaire sur les cancans de voisinage de la mère de Mattieu le potier.

Pour finir, ils quittèrent donc l’endroit dans la direction émise, dans le ciel les nuages de plus en plus soudés faisaient de la foudre leurs promises…
Peu attentif au temps qu’il faisait, le frère Keredrin ouvrait la marche avec la journaliste qui continuait son radio trottoir, fidèle à sa présomption maritale, Evanescent clôturait donc ce groupe.
A bonne distance de ses deux compagnons, il pût prendre à partie le forgeron qui se tenait à portée de ses lèvres, et sans remuer ces dernières, il débitât dans un sourire ambulatoire qui était prompt à la confidence ardente sur un sujet d’une cruciale importance…

-« Vous essayez une nouvelle couleur de cheveux ?»

Puis après le temps nécessaire au forgeron pour être sûr d’avoir bien compris l’impromptue question vitale.

-« Cette mèche blanche, dans toute cette noirceur, est t’elle le reflet de votre âme, où… le mauvais travail d’un coiffeur ? »

Cette immaculée vierge sur la cendre posée, n’était pas connue du prêtre d’Ilo, dans son souvenir effacé, l’âme dont était amoureuse sa cobaye Alia’ane, n’avait pas cette trame là…

Ils arrivèrent enfin, guidés par l’excellence de la colleteuse d’information, dans un quartier louche de la ville phare…
Ici et là, on pouvait voir dans l’absurdité des pancartes visuelles, la pollution d’esprit dérangés, comme cette dernière d’un vert pomme des plus douteux où était inscrit l’accroche suivante :

D’autres affiches sur les murs de la petite place, étaient dans le même thon, et ventaient les mérites de telle ou telle faction religieuse comme :


Ils s’arrêtèrent enfin devant l’enseigne d’un paysagiste à la devanture criarde, où une pancarte mauve indiquait des horaires farfelus d’ouverture.

-« Hum, c’est fermé décidément, quel dommage... J’avais tellement envie de me faire une couleur !»

Le prêtre insistant sur sa déception en fixant d’un œil faussement naïf et lourd sur la chevelure du forgeron d’ébène et sa mèche particulaire, ses compagnons comprenant l’allusion partirent d’un amusement discret, d’un sourire qui se voulait fédérateur qu’en à l’intégration de ce nouveau dans leur trio.

Il y avait du monde dans cette place peu éloignée de la principale, où c’était jour de marché, et c’est sans faire un pas que l’œil discret de Keredrin distingua dans cette masse d’alléchant, un couple détonnant.
Il ne dit rien tout d’abord, le jeune homme et sa galante compagnie qui avait d’ailleurs curieux détail la même coupe que Mireille, la bavarde voisine du forgeron, n’avait pas masqué un air profondément surpris et fixe sur ledit artisan.
Le vrai et unique prince au visage changé, avait en effet repéré dans la foule propice à sa balade amoureuse quoique non partagée avec le paquet de carte qui lui servait de moitié, le forgeron geôlier dont il croyait s’être libérer à son réveil quelque peu embrumé.
Ils continuèrent alors leurs pérégrinations hasardeuse, à la recherche cette fois d’un précieux aux atours jonquille selon les informations glanées là par Scribs, et qui pourrait répondre à la description physique du prince faite par Feyzin.
Lorsque soudain et sans paraitre se retourner, le faux moine à la bure bleutée chuchota d’un ton clair qui n’aspirait pas qu’on le fasse répéter…

-« Je crois que nous sommes suivi… un homme et une femme!»

Mais au même moment où la belle elfe au stylo massacreur allait se retourner, ils furent arrêtés par deux ombres masqués en face d’eux, qui surgirent dont ne sais où, et qui gardaient une rue latérale située entre le quartier louche et le marché.

-« Désolé messsssieurs, mais on ne passsse pas ! »

On ne sait si le travesti Scrib aurait eut le temps de se vexer, car lorsqu’il posa son regard efféminé sur eux, il déglutit à moitié, reconnaissant alors le masque volatil de la phalange du phénix, qu’il avait combattu bien syncopalement la nuit dernière.
Soudain, il se mit à pleurer du ciel, des gouttes se mirent à tomber ; les gens du marché s’affairaient à protéger leurs marchandises, lorsqu’un éclair non chocolaté dans la toile au dessus de leurs tête trempées se fit sur prise…

Au-delà de la ruelle que ses deux molosses sans os à ronger autre que leurs phalanges, Evanescent distinguait clairement une silhouette pissenlit, mise à mal par une autre plus familière…

*Encore lui !*

Il avançât alors, devançant son sois disant confrère pour passer par le chemin gardé par les deux cultistes dont il semblait avoir cure de l’avertissement.
Celui des deux qui avait parlé posa alors vivement une main ganté sur la poitrine du prêtre d’Ilo.

-« J’ai dit qu’on ne passsssait pas, mon ange… »

-« Mais comment ? »

L’acolyte sourit, car derrière son masque d’oiseau se cachait deux yeux couleurs rubis qui avaient la particularité de révéler ce que leurs scrutateurs ne pouvait pas deviner ; ainsi avait t’il d’abord démasqué la fausse féminité de la journaliste, mais également l’aile dissimulée d’Evanescent, sans doute voyait t’il ce que cachait la bure d’emprunt de Keredrin, où la véritable nature du couple d’amoureux qui plus loin les suivait avec une discrétion malhabile.

-« On détesssste les gens de ton esssspèce par ici !»

Il le poussa violement en arrière, mais Evanescent un moment ne sembla plus bouger, puis voyant que cela contrariait le cerbère, il recula avec panache dans un mouvement parfait de sa chevelure désobligée par un tel accueil.
L’ange démasqué, posa alors successivement son regard au loin sur la scène foudroyante et jaunâtre, et puis sur le second acolyte qui n’avait pas prononcé un mot depuis le début, et qui faisait continuellement lancer en l’air des dés d’une incroyable agressivité.
Scribs allait s’avancer à son tour pour calmer l’affront fait au religieux, mais ce dernier l’arrêtât du poignet, alors que l’autre siffla.

- « On n’aime pas les travelos dans ton genre non plus, ma jolie !»

Le serpent retira enfin son masque, et tous purent constater la beauté terrifiante de son regard et son sourire mauvais, tandis que le jeteur de dès n’arrêtait pas de fixer le faux moine de son air d’une indifférente méchanceté.

Keredin, Scribs et Evanescent échangèrent alors un regard entendus, et à la surprise de Feyzin, Evanescent le prit dans ses bras, et libérant son aile inutilement masquée en l’absence de la foule craintive de l’eau qui ruisselait de partout, ils s’envolèrent au dessus du lanceur de dés, entre les éclairs timides le vol ne fût qu’une cloche qui les fit atterrir de l’autre coté.

-« Ssssaleté de volatil ! »

-« Nous sommes là pour vous occuper, soyez tranquille… Vous ne resterez pas longtemps à pester de manière inutile !»

Le ton était très clair, Keredrin les provoquait pour permettre à Evanescent et Feyzin de s’approcher du bouquet de jonquilles qu’ils avaient tous vus au loin.

-« Très bien, jouons donc à des jeux moins fragiles… »

Le serpent aux yeux flamboyant fixa intensément Scribs qui semblait être son choix, alors que son compagnon pointa ses dés en direction du moine, comme pour mieux le cerner.
La partie était donc lancée…

Cette vieille radoteuse... Feyzin s'en serait bien passé... La curieuse avait récolté quelques informations, précieuses, mais d'autres pouvait replonger le forgeron troublé dans des souvenirs que trop récents... Ainsi, à la question muette formulée par le trio, il se contenta d'hausser les épaules.

- Une longue histoire...

L'ange laissa traîner sur lui un œil moins suspicieux que curieux, auquel le demi-elfe répondit d'un hochement de tête. Il était certain que son nouveau compagnon avait déjà deviné. Le jeune homme avait été aspiré dans cette tornade d'évènements bien malgré lui, et ne s'en dépêtrerait pas de sitôt... Quelque chose lui disait qu'il pourrait confier ces faits à l'être béni des dieux... quand le moment serait propice...

Le petit groupe avait reprit la route, suivant les indications récoltée par la journaliste intrépide, mais Feyzin avait bien remarqué la distance que le prêtre laissait progressivement entre eux deux et leurs prédécesseurs, scindant la compagnie de façon à ne pas être à portée de voix du moinillon et son acolyte bavarde.
Le jeune forgeron devinait que le sujet devait être d'un intérêt certain, peut-être même celui que l'elfe noir n'avait osé aborder plus tôt... Aussi se prépara-t-il à une question cruciale... et en fut complètement désarçonné... Que venait faire ses cheveux dans cette histoire ? Feyzin comprenait que l'ange ait pu être un féru de mode et que lui-même n'en était pas un modèle, enfin...

Le long blanc laissé par le demi-elfe laissa deviner sa surprise à son interlocuteur, qui précisa le fond de sa pensée. Ce qui lui fit froncer les sourcils. Une mèche blanche ? Feyzin n'en avait pas souvenance... Il passa pensivement la main dans son abondante mais désorganisée chevelure, à la recherche de la coupable, alors que l'ange lui indiquait discrètement sa position. Il s'en saisit vivement, et tirant un peu sur la rebelle pour la placer à portée de ses yeux, il ne put que constater sa décoloration.
Derrière son hâle, Feyzin pâlit. Relâchant la blanche, qu'il ne pouvait à présent retirer de sa vue et de sa pensée, il secoua légèrement la tête. Il devait bien l'accepter, il devrait vivre désormais avec cette marque de son effroi...

- Un cauchemar...

Reprenant un peu contenance, le forgeron releva la tête vers le visage qui hanterait ses nuits. Les yeux troubles, le jeune homme repensa à sa folie. Il avait bien failli perdre la raison... Il sourit, pourtant. Celui qui était devant lui méritait toute sa confiance...

- Vous l'avez sentie, cette odeur, devant mon atelier... Les ragots de la vieilles sont fondés...

Feyzin respira une grande goulée d'air. Rien que cette phrase avait suffit à mettre son compagnon en haleine... Il ne comptait pas rentrer dans le détail, pas maintenant, l'avoir vécu lui suffisait, merci bien...

- Un chevalier de la mort... animé de haine et de magie... Il était venu... pour moi.

Le jeune homme déglutit. Il n'avait pas arrêté d'avancer, suivant de loin leurs agents de renseignement, mais son pas hésitant rétrécissait la vision qu'ils avaient d'eux.

- Il a tué toute une garnison de soldats devant mes yeux... Je n'ai rien pu faire...

Le demi-elfe avait du mal à parler, rien que d'évoquer cet être le forçait à réprimer des tremblements compulsifs. Il secoua la tête, inutile de tout citer, autant aller à l'essentiel...

- Il avait un disciple... Il était comme vous...

Secouant vivement la tête pour retirer cette dernière phrase, Feyzin tenta de remettre de l'ordre dans ses idées. La vague de terreur et de ténèbres qui lui avait fait frôler la folie n'avait rien de commun avec ce représentant de la lumière... Il se s'obligea à regarder les yeux de l'ange, convainquant sa propre conscience qu'il n'avait pas affaire à la même personne. Mais c'était déjà acquis, comme s'il le connaissait depuis toujours...

- Enfin... il vous ressemblait...

Un instant le sourire narquois de l'ange corrompu se superposa sur celui du serviteur bienveillant, et Feyzin eut un frisson. Bien qu'il n'ait pas tous les éléments, le demi-elfe espérait que l'être évanescent comprenait maintenant sa réaction...

Leur cheminement continua, l'ange muet permit à Feyzin de décanter un peu, d'exclure pour un temps ces pensées néfastes. Il rattrapèrent leurs compagnons, juste comme il parvenaient à une boutique, un salon de coiffure. Evanescent ne put retenir une remarque qu'il crut spirituelle et qui eut le mérite de faire rire les deux simples, mais le forgeron se mordit le joue, préférant ne rien dire et garder le regard droit. Il comprit cependant que cette réflexion n'avait pas pour but d'être déplacée, mais de le mettre à l'aise parmi eux, il faisait partie intégrante de leur cellule d'enquête... Il fit donc par sourire, d'un étirement discret de ses lèvres, dont le silence laissait seule interprétation à l'ange plaisantin.

Leurs efforts ne tardèrent pas à être récompensés, chassant définitivement l'ange maléfique de son esprit. Heureusement ou malheureusement, Feyzin aurait bien été incapable d'affirmer quoique ce soit. Car l'anecdote du couple qui les filait de façon peu discrète laissa place à une ironie bien moins réjouissante. Un autre duo, plus menaçant et on ne pouvait plus sérieux les arrêta.
Le forgeron se sentait étranger à cette scène, comme s'il la voyait de l'extérieur... Visiblement, ces individus savaient déjà à qui ils avaient affaire, et, de même, ses compagnons semblaient leur avoir déjà tenu tête... Avant d'avoir pu esquisse la moindre initiative à cette menace, Feyzin se retrouva décollé du sol, emporté par une aile fugace. Le jeune homme aurait bien protesté, s'il n'avait reconnu - à retardement - un petit prince en défaut face à un autre être voilé...
Une réflexion volatile passa par son esprit privé de logique, sans qu'il ne la note vraiment. Färvien avait eu le temps de rentrer à son château et de se changer depuis leur dernière rencontre ? Et il ne se souvenait pas lui avoir vu des habits de couleur aussi criardes... Il s'était présenté chez lui de la couleur du ciel, reparti couleur de nuit... La jonquille n'avait pas sa place dans la mémoire de Feyzin. Mais peu importait. Ils l'avaient retrouvé, et le jeune humain semblait dans une bien mauvaise posture. Ils allaient l'aider.

Lorsque l'ange à l'aile démasquée relâcha enfin ses aisselles, sur un toit en aplomb de la scène qui les attirait, Feyzin se tourna vers lui.

- Que comptes-tu faire... ?

Le tutoiement venu naturellement n'avait pas de quoi choquer, mais le forgeron fut vite distrait par une sensation, familière et sympathique malgré sa teneur malsaine. Il sourit légèrement, sachant ne pouvoir être entendu des protagonistes en bas.

- Un de mes clients... Il pourrait être un allié de choix...

Feyzin baissa les yeux vers la scène en suspens, il ne fallait pas non plus sous-estimer leur adversaire. Il émanait de l'être devant Färvien quelque chose que le demi-elfe reconnaissait chez Evanescent, mais subtilement différent...

Aile 36 : Combat de cerfs-volants

Alors qu’il venait juste de poser son pied gauche délicatement sur le sol, posant le paquet humain contre son corps trempé par la pluie chagrine, Evanescent replia son aile dans laquelle jouait intimement des gouttes mortelles.

-Que comptes-tu faire... ?

De cela il n’en avait qu’une brève idée, et ne préféra pas répondre, le silence étant le meilleur des plans travaillés.
Devant eux se tenait maintenant deux autres phalangers qui gardaient la rue d’en face et s’étaient déplacés lors de leurs ascension fugace ; leurs bloquant ainsi l’accès au faux prince Färvien médusé et de sa chimère mangeuse de Schtroumfs.
Notre pigeon voyageur se retrouvait coincé entres ces futurs adversaires et les duels derrière eux qui s’amorçaient, avec le moine Keredrin et Scribs l’enquêtrice.
De devoir à nouveau débuter un nouveau combat contre l’ordre qui était responsable des colportes à l’encontre de son église ne remplissait de joie pas pour autant l’ange lessivé par la pluie.
Portant tout les deux des masques, l’un des obstacles mouvants lui fit lâcher un soupir qui passa pour désobligeant, mais qui ne montrait pas moins de sa profonde chagrine à débuter des pourparlers autres que par l’escrime.

-« Ange de malheur, un pas de plus et tu es mort !»

L’homme était robuste, merveillesement observateur et fort de ses bras larges s’allongeaient une épée profonde qui n’était pas s’en rappeler celle d’un boucher, son autre main était curieusement absente posé contre un ventre proéminant amateur de bonnes chairs et d’alcools puissants.
Son masque avait la particularité de ne porter aucune plume et était fait de métal du plus froid alliage.
L’autre était androgyne, de beaux cheveux brun-nuits et légèrement bouclés firent même douter l’ange filiforme, mais alors qu’il cherchait à le sonder pour deviner son sexe, il vit face à un mur de pensée bien construit et solide contre sa tentative d’intrusion.
Il ne parlait pas, préférant laisser son ami entretenir l’illusion et le trouble chez Evanescent et Feyzin dans le combat qui s’annonçait, sa cible bien en vue, il sourit derrière son masque d’oiseau de nuit.
Expert dans l’art de déchiffrer une âme, l’ange surpris n’eut pas le temps de s’occuper du compagnon du boucher, lui-même perdu dans la contemplation de Feyzin, avec des yeux masqués qui n’occultait qu’à peine l’intérêt efféminé qu’il lui portait.
En effet le boucher s’avançait vers lui en chargeant de son arme plus large que longue, la main muette toujours occultée.

-« Je me ferais un plaisir de te découper en rondelle, saleté de volaille qui fait sa belle ! »

Evanescent esquiva sur la gauche du bretteur, dans un mouvement charmant d’un habille cavalier, il ferma même les yeux lors de son mouvement d’arène, ne sortant pas encore son arme murène de sa garde pleurante le combat désobligeant et inutile.

-« Tssss ! »

Comprenant son retard longitudinal lors de sa charge, le boucher manchot et cataracte, rattrapa ce dernier en coupant la gauche du danseur qui s’abaissa aussitôt ; les genoux plaqués contre le sol, il sortit enfin sa larme-épée qui résonna au contact des indécentes gouttes sur son manche d’argent, le dragon pleurait.
Le prêtre formé à l’école militaile dans son enfance angélique, para alors le couteau rageur qui s’abattait sur lui, son adversaire avait l’air d’un fou de dieu, moins expert en combats que la-main-du-phénix qu’Alia’ane avait terrassé la nuit dernière pour lui.
Mais cette fois elle ne serait pas là pour lui, il devait se défaire seul de ses ennemis pour l’ordre du cœur et sa princesse chérie.
Des larmes de sang coulèrent alors, lorsque surpris la main cachée du boucher s’enfonça contre sa clavicule gauche en un terrible hameçon croisé.
Il n’avait pris la peine que de contrer l’arme qu’il voyait, trop absorbé par ses pensées, les mouvements imprévisibles de son pléthorique adversaire, avaient raison des gestes calqués métronomes sur son rythme de combats incertains.
Autant l’homme aux deux sabres volant était prévisible, autant l’hémoglobine donnait raison à l’expert des viandes blanches.

-« Je vais te saigner jusqu’à l’os, puis après te plumer… »

Il avait un sourire carnassier, et empestait l’alcool à cette distance.
L’ange dans un sursaut de dignité lui fit lâcher son couteau de boucher d’un mouvement brusque qui ne lui ressemblait pas ; cette épée de Damoclès au dessus de sa garde, quitta les mains boudinées de l’artisan trop occupé à sa forfaiture, d’enfoncer contre la chair son crochet pourriture.
Alors qu’il allait abattre à nouveau sa larme-épée sur son bourreau désarmé de sa dextre, ce dernier lui arrachant un cri de douleur absolue, reculant ainsi de lui en déroulant un fil conducteur de corde marin auquel était coincée en amont la clavicule gauche de l’ange.

-« Vous avez crus que je vous servirais de cerf-volant dans ce ciel pleins d’éclairs, vous avez peur que je m’emmêle ; mais je connais la science, ce n’est pas votre misérable corde qui me fera rejoindre mes pairs… »

De son épée pleurante dans la pluie qui distillait son hémorragie naissante, Evanescent coupa la corde qui ne semblait pas bien costaude d’un coup sec qui… ne marcha pas !

-« Elle est elfique… maintenant on pari, petit poulet chéri ? »

Evanescent était effaré, s’y reprenant à deux fois, il n’y arrivait pas, tandis que contre sa ceinture, Edison sortit un nouveau couteau encore plus tranchant…
A coté de lui, son compagnon androgyne qui n’avait pas encore croisé le fer ou le mot avec Feyzin, changea étrangement de cible, dardant ses yeux bridés en direction du boucher très occupé…

*Enfin ma vengeance est arrivée....*
Ces paroles raisonnaient dans la tête de Sigma, alors que les membres de la Phalange du Phoenix marchaient dans les rues de Tylen, conduits par Azraël. Jusque là, le plan s'était passé comme prévu. Après des mois à passer de contacts en contacts, d'informateurs à informateurs, dont certain se devaient d'être mis hors-service pour ne pas être dénoncé, Sigma était parvenu à intégrer la Phalange du Phoenix. Ni Azraël, ni les autres membres présents lors de la mort de Jing et de sa famille ne l'avait reconnu. Mais qui reconnaîtrait une personne que l'on pensait avoir tué deux ans auparavant ? Preuve qu'il n'avait pas été la seule victime de la secte. A moins qu'Azraël ait feinté, et l'ait attiré dans un piège. Mais il en doutait, car après tout il aurait eu maintes occasions de se faire tuer si il avait été démasqué.

*Qu'importe, c'est maintenant où jamais. Jing, mon amour, tu vas bientôt pouvoir revoir ton assassin.*

« OH ! T'arrêtes de rêver la bleusaille ? »

L'homme au couteau de boucher qui marchait à ses côtés donna un léger coup de coude, qui sortit brusquement Sigma de ses rêveries.

« Je t'ai déjà dit d'être vigilant. Les bleusailles rêveuses dans ton genre font pas long feu généralement. Pas endurante mentalement, et je ne parle pas du physique ! », dit-il en parcourant des yeux le corps de l'androgyne de la tête au pied avec un air de dégoût.

Ornsk, le « boucher », n'appréciait pas Sigma. Et on peut dire que c'était réciproque. Large, aussi bien des épaules que du ventre, mal rasé, et empestant l'alcool, Ornsk était aux antipodes des critères de beauté auxquels Sigma prêtait attention. Le pire, c'est que le niveau intellectuel du soldat de la Phalange était proche du niveau des océans. Boire, manger, dormir et tuer résumaient à eux seuls la philosophie de celui qui avait été désigné comme le « tuteur » du jeune androgyne à son entrée dans la secte. Mission qu'il exécrait tout particulièrement, car ce « préhistorique à pattes », comme se plaisait à l'appeler Sigma, avait horreur des bleusailles, qu'il n'appréciait que lorsqu'il les faisait craquer. Chose qu'il n'avait pas réussi avec la nouvelle recrue, et qui le désespérait : car Ornsk détestait en plus les androgynes, qu'il considérait comme des erreurs de la nature, trop chétives pour faire de vrais hommes, et qui n'était bons qu'à servir, selon ses propres termes, de « cobayes sexuels pour orgies princières ». Sigma lui ne se concentrait que sur ses objectifs : Azraël, le « serpent » et les autres membres qu'il souhaitait voir morts. Il n'avait cure des avis de son tuteur, et préférait continuer à penser à la stratégie à adopter pour la suite, d'où les remontrances d'Ornsk qui aimait par-dessus tout être écouté.

« Tournons, par ici »

Azraël venait brusquement de tourner dans une petite ruelle, et arrêta la cohorte après quelques pas.

« Cet homme, là... c'est le prince Färvien ! » Cria Ornsk en désignant au loin un personnage qui déambulait seul dans les rues.
*On montre pas les gens du doigt imbécile*
- « On peut dire ça comme ça. Bon, je veux quatre hommes derrière moi, qui bloquent cette ruelle, quatre qui remontent de chaque côté pour prendre un autre de ces chemins de traverse afin de bloquer la rue latéralement, et quatre autres qui font un détour pour se placer dans le prolongement de cette venelle, en face de moi. »

Ils appliquèrent le plan d'Azraël, et contournèrent l'endroit pour bloquer les différents accès de la ruelle, pendant qu'Azraël filait droit vers le prince. Ornsk et Sigma s'arrêtèrent alors au bout d'une ruelle, et regardèrent attentivement leur chef discuter avec le Färvien. C'est alors qu'un personnage s'avança dans leur dos et chercha à passer. C'était un civil, non humain, et non armé, mais dont l'aspect semblait répugner le « boucher ».

« - Halte là ! Personne ne passe ici, et surtout pas une personne de votre genre.
- Cet endroit est inaccessible, à moins que vous ne teniez pas à votre vie, bien évidemment» renchérit Sigma.
*Mieux vaut éviter un surplus de monde, surtout si ça dégénère....*

A peine eut-il cette pensée, qu'ils furent surpris par une vision peu commune. Un ange les survola, tenant un corps dans ses bras, et alla se poser de l'autre côté, dans la ruelle voisine, loin derrière Färvien et Azraël. Suivant son tuteur, ils passèrent devant leur chef et le prince, en pleine discussion, afin de rejoindre les nouveaux arrivant. L'androgyne sentit l'adrénaline monter quand il ne fut qu'à quelques mètres de son ennemi juré.

*Calme toi, ce n'est pas encore le moment ! Un peu de patience.*

Parvenant à masquer ses émotions, les deux soldats continuèrent dans la ruelle et se placèrent face aux deux nouveaux venus. Sigma commença alors à les observer : le « volant » était un ange, grand et élancé, au teint très pâle, aux cheveux blancs et dont la démarche avait quelque chose de féerique. Le second personnage intéressait beaucoup plus l'androgyne. Plus petit que l'ange, il était très sombre, du fait de la couleur de sa peau et de ses cheveux, peut-être un elfe noir, mais les oreilles rondes ne venaient pas confirmer cette idée. Il n'avait pas un physique ingrat, bien au contraire, et il avait un beau regard. Cependant il n'était pas totalement serein, comme le remarqua très vite Sigma en plongeant ses yeux profondément dans ceux du jeune homme à la peau sombre. Ils trahissaient une anxiété, assez profonde semblait-il, et cela ne venait pas que de la menace du "boucher".

« Ange de malheur, un pas de plus et tu es mort !»

Ornsk s'était attaqué à l'ange. Utilisant tout d'abord son couteau, il chargea littéralement, surprenant l'ange qui parvint tout de même à le contrer, mais par une habile manœuvre, le « boucher » planta dans l'épaule de son adversaire son hameçon, qui était son arme favorite pour faire souffrir. L'ange tenta alors de couper le fil qui le reliait à son agresseur et le faisait souffrir, mais la corde, de constitution elfique, ne rompit pas, à la grande satisfaction d'Ornsk. Pendant ce temps, Sigma avait toujours les yeux plongés dans ceux de l'homme à la peau sombre. Ou plutôt c'est ce qu'il semblait pour un observateur extérieur, car le samouraï, qui n'en était pas un, était plongé dans ses pensées.

*Que dois-je faire ? Profiter que l'autre imbécile soit en combat avec l'ange et attaquer Azraël, où aider ces deux-là et prendre le risque de voir son ennemi s'échapper. D'un autre côté, si Ornsk gagne ce combat, il arrivera dans mon dos. Non, je ne peux pas prendre ce risque, pas maintenant.*

« Elle est elfique… maintenant on pari, petit poulet chéri ? »

Cette phrase réveilla Sigma, qui parvint enfin à détacher ses yeux du jeune homme et à se concentrer sur la situation. Son choix était désormais fait. Il dégaina doucement son nodachi, qui jusque là avait sagement attendu dans son fourreau, et, faisant un petit clin d'œil à l'ange :

« Si tu ne peux couper le fil qui te bloque, coupe le bras qui le retient.
-Qu'est-ce que tu dis ? » demanda Ornsk tout en continuant de fixer son adversaire avec un regard méchant et un sourire sadique.
Levant légèrement son arme, Sigma mis toute sa force dans le coup qu'il envoya, rabattant la longue lame vers le bas, et tranchant net le bras de son « tuteur » qui, surpris, se mis à hurler de douleur.

« ENFOIIIIIREEE. AAAAARRRRRG....
-Ça fait longtemps que ça me démangeait pauvre larve.
-Bien joué...petit ! Je savais...que tu n'étais pas...digne de confiance.Mais...je ne suis pas...encore mort, tu aurais mieux fait...de me tuer ! 
-Ça ne saurait tarder je pense. Je vous le laisse, j'ai une autre personne à aller voir » répondit doucement Sigma avec un petit hochement de tête pour l'ange.

L'androgyne, gardant son arme ensanglantée à la main, fit demi-tour et marcha en direction d'Azraël, lequel venait d'assister à la traîtrise d'un de ses hommes, et ordonnait déjà à ses gardes du corps de se mettre devant lui pour le défendre.

*Maintenant, à nous deux Az !*

Azrael observait d'un œil presque distrait ce qui se passait sous ses yeux. En un joli vol plané, qu'il jugea assez intéressant pour sa mise en scène, Evanescent s'envola au-dessus du barrage de gardes qu'il avait déployé. L'ange noir lui ignorait ce talent, mais se déporta rapidement vers son compagnon, qui semblait plus perdu qu'autre chose.
Sa vision lui arracha un sourire cruel. Ce devait être un quelconque jeunot, sans doute un artisan médiocre de la ville basse, qui passait son temps à sculpter des chaises dans sa misère noire. Ceci dit, sa détermination presque ridicule l'amusait ; que croyait-il faire de l'épée qu'il tenait, se représentait Azrael, laissant son angélique vue de côté au profil d'un peu de rêverie peu coutumière chez lui, les doigts suants, et les os tremblants ?
L'idiot rustre dont il avait oublié le nom pour n'en garder qu'un surnom grotesque, « Le Boucher », en tête, s'était précipité sur le demi-ange avec sa férocité coutumière. Un bon chien-chien, tout au plus, pour les basses besognes, et qui, comme tous les balourds de la phalange, s'aplatissaient en bavant devant lui. Il était le tuteur d'une jeune homme dont le nom lui avait également complètement échappé. Iota, peut-être, ou Sigma.
Difficile de retenir les noms des humains, si fugaces et ternes dans leur majorité, et aussi nombreux qu'une colonie de fourmis. Ceci dit, l'ange noir avait remarqué à plusieurs reprises cet éphèbe. Bien plus intelligent que les molosses et les cinglés qu'il avait amené avec lui, Azrael se demandait souvent ce qui l'avait amené à entrer dans les rangs de la phalange. Sa finesse le rapprochait plus d'un noble que de la plèbe qui affluait aux portes de l'ordre.
Peut-être un héritier jeté dans les rues par son père, mécontent de son comportement ? L'hypothèse avait le mérite d'expliquer le tout, y compris sa grande maîtrise des armes, au point que l'ange était bien conscient de lui faire perdre son temps avec des hommes aussi éloignés de l'idée de subtilité que lui-même était supérieure à elle, modestie mise à part. Jamais il n'avait craqué, restant stoïque, pliant sans céder ; sa liberté d'esprit était finalement son pire défaut, et Azrael savait avoir besoin d'hommes ayant plus d'esprit d'initiative, quitte à sacrifier un peu de stabilité.
A l'évidence un de ses favoris. Il avait lui-même insisté auprès du Père pour l'emmener. S'il faisait ses preuves aujourd'hui, Sigma recevrait dès demain un ordre signé par le Corax pour rejoindre un camp d'entraînement en campagne, afin d'y devenir un des dignitaires importants de la phalange. Toutefois, pour l'instant, il restait statique... pourquoi ? Trouvait-il trop facile l'exécution du jeune homme, qu'il regardait droit dans les yeux... instinct de prédation ? Azrael en doutait.
Mais il ne s'attendait surement pas au geste de Sigma, qui, d'un grand mouvement de bras sectionna le bras du Boucher, laissant jaillir un grand flot de sang. Un certain style, convint l'ange noir, vaguement désolé de perdre un bon élément, étant donné qu'il allait être obligé de l'exécuter. La masse des humains avait au moins cet avantage : il était plus facile d'y trouver précisément ce qu'on cherchait armé de bons services de renseignements.
Ses gardes, instinctivement, se resserrèrent pour former une protection compacte autour de lui. Il avait rassemblé quelques soldats de talent, pour la plupart des hommes bruts et sans imagination, mais loin des tordus fanatisés qui paraissaient en première ligne. Presque étouffé, et légèrement révulsé par leur contact et leur odeur de sudation, il leur intima de s'écarter légèrement d'un geste de la main, avant de prendre la parole en direction du jeune Sigma :

« Eh bien, que se passe-t-il ? Je ne le tiens pas en très haut estime, mais tout de même, son principal intérêt se trouve dans ses bras qu'il a de la chance d'avoir musclés pour compenser un léger déficit plus haut dans le corps... »

Azrael fit un pas léger qui le mit au même niveau que les premiers hommes de son cordon de protection, qui semblaient hésiter mortellement entre avancer, quitte à être réprimandés, et rester sur place.

« Une fine analyse de votre psychologie me fait remarquer aisément que vous m'en voulez. Un peu de décontraction, je vous prie, je ne désire pas que l'on se jette sur moi avec aussi peu de correction ! Vos épaules sont trop raides, vos muscles déjà trop serrés. Nous ne sommes pas à une foire d'exhibition et être animé par un juste courroux, porté par la vengeance ne vous protégera pas moins quand vous bloquerez vos genoux après un assaut trop violent. Certes, ceci ne changera guère la finalité du combat, mais s'il peut s'agrémenter de quelques belles passes, il servira tout au plus à me distraire de ce temps maussade qui a le don de m'exaspérer. Les yeux bridés, le teint jaune, tout s'explique vite, finalement : vous désirez vous faire hara-kiri. Il faut croire que se trouver à Tylen vous a quelque peu fané la mémoire, et je vais m'empresser de vous la rafraîchir : ce suicide rituel, une coutume tout à fait pittoresque au demeurant, doit se faire avec sa propre épée, non en s'empalant sur celle d'un autre ; pour vous faire plaisir, je consens même à troquer mon beau Grief contre une épée. Ceci dit, je vous préviens, bien je comprenne que vous puissiez trouver honorable de périr sans avoir à vous laisser faire sans pour autant s'éterniser dans un long combat, j'ai exécuté un grand nombre de gens. Cet air remonté et crispé est d'ailleurs symptomatique des gens qui ont vu périr leurs proches sous mes coups... amusant, je trouve. »

Un pas de plus, commissures relevées.

« A moins, bien sûr, que vous ne soyez réellement venu là pour me tuer, et non pour seulement avoir l'insigne honneur de périr de ma lame. Bref, cela est seulement plus beau sur le papier... je vous promets, si je trouve un jour le temps d'écrire mes mémoires, j'aurais un petit mot pour vous. Comme par exemple un « elles », reprenant lui-même « mes victimes ». Ou pourquoi pas dans les remerciements, pour m'avoir donné l'idée ? »

Il s'avance, encore, sourire aux lèvres.

« Ah, mais attendez, je viens de me souvenir de vous... n'est-ce pas le jeune homme dont le père a été tué pour les penchants sexuels de son fils ? Les circonvolutions de notre langue sont fort intéressantes... je l'ai tué, nous avons causé sa mort, magique, n'est-ce pas ? »

Il jouait avec Sigma, mentant avec une assurance joviale ; sa tête penchée sur le côté, il arborait son plus bel air angélique, alors que le sifflement clair de Carillon qui jaillissait de son fourreau retentissait.

toujours...

A quelque distance derrière le tavernier ignoré des deux malabars aux gros bras, une porte s'ouvrait lentement et sans un bruit. Ou plutot, le bruit qu'elle faisait passait inaperçu et n'intéressait personne. Rectification, presque personne en fait.

L'être qui se faufilait présentement dans l'huis entrouvert exécrait ce genre de grincement qui lui hérissait les poils du dos. De plus, devoir mettre tant de force dans la simple opération que représentait une ouverture de porte avait de quoi chambouler son esprit Newtonien au plus haut point.

Le nouvel androgyne à effet minet regarda un instant la pierre qui brillait dans sa main avant de réaliser qu'il n'était pas seul. Certes, le grand type lui tournait le dos, mais il émanait de lui une impression étrange qui lui faisait frémir les moustaches rien que d'y penser. Dommage qu'il n'avait pas avec lui la force et le courage de l'affronter, à tous les coups, c'était là un vil serviteur de ce démon d'Albert !

Mais tout cela n'avait que peu d'importance, le butin du jour, tout d'or et de pierreries aurait de quoi régaler sa seigneurie de plusieurs coupelles de lait crémeux et lui permettrait peut-être d'investir dans un panier confortable pour les nuits à venir...

Un fier sourire aux lèvres, il fourra donc la pierre dans la bourse précédemment pendue à la ceinture d'un autre et glissa ensuite le tout dans sa besace. Il en ronronnait déjà de plaisir.

Mais soudain !

Ses yeux fendus s'ouvrirent en grand, il pressentait un danger. Instinctivement, il se tourna vers le coquin adepte d'Albert pour le voir, toujours de dos, sans doute inconscient de sa présence. Qui alors ?

Ses moustaches se redressèrent... Une odeur de canidé... Un gros... Étonnamment forte... Prêt à courir, il s'éloignait à l'opposé du combat dont il n'avait aucune conscience et tourna le coin de la rue, espérant rejoindre par là une artère principale.

Peur... Sourire largement ouvert... Effroi... Un regard brillant d'une cruauté rivalisant avec un grand appétit pour la viande féline... Poils dressés, transpirant la peur de la mort imminente... L'éclat de l'ivoire d'une rangée de dents trop longues...

L'elfe-semi-chat faisait face au chien le plus monstrueux qui lui aura été donné de voir dans toute sa vie. Malgré son mètre soixante-quinze, le monstre le surpassait d'une bonne tête, d'ailleurs fort grosse et au sourire inquiétant... voire, tranchant...

Le miaulement resté coincé dans sa gorge mourut dans un gargouillis pathétique alors que le molosse le saisissait brutalement entre ses larges et puissantes mâchoires. D'un bond, la créature quadrupède avait atteint le toit où il disparut rapidement... A peine eut-on le temps de voir, accrochée à son imposant collier de métal, une carotte stylisée arborant un sourire aussi dentu que celui de son porteur.

* Peut-être n'était-il qu'un homme comme un autre ? * fut la dernière pensée de Shay, le semi-elfe félidé...

Aile 37 : La chute de Newton

Décapitée l’envie, le zèle et la furie, qui tiraient sur la corde du beau peuple, meurtrissures osseuses coagulées proches de l’épaule gauche de l’ange trempé.
L’androgyne sans autre façon venait du bras de son bourreau peu avare en maux grossiers, lui permettre un peu de souffler.
Alors que la pluie s’estompait peu à peu autour d’eux, et qu’un vent coquin lui parcourue l’échine, son compagnon de route Feyzin tomba lourdement sur le sol chiné par l’eau.

*En cas de perte de connaissance subite avec traumatisme crânien, du scanner il faut faire, pour éliminer quelque chose de malin*

N’ayant pas le loisir de dissèqu… d’observer plus en avant la raison du malaise du forgeron à la mèche blanche, Evanescent fit quand même par pur réflexe une auscultation rapide de la rue et des toits afin d’éliminer une présence extérieure responsable de cette hypoglycémie.
Juste un chat dans la gueule d’un monstre énorme et canin, faisait état en somme devant lui ; et derrière lui risquant un cris lorsqu’il arracha lui-même le crochet dans sa chair, un autre monstre comme lui…
Evanescent n’eut pas le temps de s’appesantir d’avantage sur des quelconques élucubrations fantasmagoriques, car le boucher qui regardait encore le traitre Sigma s’éloigner vers son maitre, venait d’avaler une pilule dans un revers de manche.

Aussitôt l’hémorragie cataclysmique de son bras céda, et il se retourna vers ceux qui l’avaient distrait autrefois.

-« Putentraille ! Vous êtes de vrais chaperons, vous n’en avez pas ! »

Regardant Feyzin allongé sur le sol, une grosse marre de sang à ses pieds éclaboussés.

-« Un tout petit peu de sang, et ton ami tourne de l’œil ? »

Il s’approchait méchamment du forgeron éteint, alors qu’à côté de la ruelle pas loin, Evanescent terminait l’incantation de son sort de soin, ayant vérifié auparavant qu’aucun vaisseaux n’était lésés.

-« Il a intérêt à retrouver ses couilles, ou prépare lui un cercueil ! »

Le boucher allait frapper de sa main unique, le moignon gauche fermé et affreux à demi-relevé par réflexe du membre fantôme.

-« Non !!! »

L’ange para instantanément, il avait parcourue la distance qui le séparait de Feyzin, et de la lame du boucher qui allait couper l’homme couché qui était son opposé en couleur.
Dans son dos était réapparut quelques secondes les deux ailes de dragon de celui qui résidait dans sa larme-épée et qui se faisait appeler sans fioritures Sylver.

*J’ai mis le turbo !*

*Merci*

L’handicapé jura, et lui balançant à la figure son bras amputé, il déstabilisa l’ange qui tomba à moitié sur le forgeron inanimé.
Sous lui, Feyzin eut comme… un sursaut ?

Le chute de l'ange avait provoqué le réveil brutal du forgeron inanimé, qui resta un instant en stase, avant de se mouvoir lentement afin de regarder son protecteur, un paisible sourire aux lèvres.

- Toi, je te connais... Toujours doux rêveur, Evanescent...

La voix du jeune homme avait une toute autre intonation que celle que son compagnon lui connaissait, et ses yeux mêmes semblaient différents vus d'aussi près. Comme si une autre personne y habitait, la sombre émeraude avait laissé place pour son interlocuteur au rose d'un quartz singulier.

---

Feyzin...

Sans comprendre ce qui se passait le demi-elfe se retrouva tout d'un coup projeté dans un autre monde, qu'il découvrait à présent, inconnu. Un appel lui avait été lancé, auquel il avait répondu sans en avoir conscience... La voix le guidait toujours, il la suivait tranquillement, en silence, il aurait presque cru qu'elle ne savait pas qu'il venait à elle... Mais il la connaissait, et voulait lui montrer sa présence... Qu'elle se tourne vers lui et lui parle...

Le jeune homme perdu dans la nuit trouva bientôt une lumière... Vacillante, et faible, comme si elle-même se battait pour survivre dans les ténèbres. Une pièce entièrement noire, éclairée par de maigres chandelles sur le point de s'éteindre. Au centre une sorte d'autel sur lequel reposait un cercueil de glace et de cristal... Feyzin en fit le tour, tiraillé par une angoisse lancinante. Etait-il sensé voir et comprendre quelque chose, ici ?
Obnubilé par l'inquiétude d'oublier un détail, d'être aveuglé par l'évidence, le forgeron ne sentit pas le léger courant d'air qui soufflait autour de lui. Une main se posa sur son épaule, manquant arrêter son cœur. La main sur sa poitrine battante, il savait parfaitement qu'il ne verrait rien... Pourtant, le curieux se retourna, face à une ondulation vibrante, que représentait un minuscule élémentaire voletant autour de lui.

Je n'ai pas voulu t'emmener ici...

La sensation de chaleur sur son épaule n'avait pas disparu. Feyzin baissa un peu les yeux. Il comprenait ce que l'être voulait lui dire. Il ne souhaitait pas qu'il le voie ainsi, dans ce lieu, même si le jeune homme ignorait ce qu'il représentait, mais quelque part, il était heureux de l'y voir... Et Feyzin, tout en soupirant, ne pouvait s'empêcher de sourire... Et son compagnon s'efforça de satisfaire son envie de comprendre...

Je suis enfermé ici...

Le visage de l'elfe se tourna instinctivement vers le centre de la pièce. Il vit une nouvelle fois l'inquiétant trône d'un roi allongé, que l'on souhaitait mort... Un hochement de tête imaginaire confirma sa pensée.

C'est ma réalité...

Le jeune artisan déglutit. Qu'avait-il fait pour mériter qu'on le traite ainsi ? La réponse lui semblait évidente. Son interlocuteur était un innocent condamné à tort... Au fil de ses idées, cela le décida enfin à parler.

Je ne sais toujours pas qui tu es...

Un tremblement l'interrompit. Sa propre réalité s'imposait à lui. Il pleuvait toujours et ses habits était à présent trempés. Il avait froid... Essorant ses vêtements sachant qu'il n'en serait rien de l'autre côté de son esprit, Feyzin releva les yeux vers le vide.

Tu le sauras vite...

Un sourire lui fut adressé, ainsi qu'une demande un peu étrange...

Prête-moi ton bras.

Perplexe, ne sachant réellement ce que cela impliquerait, mais ayant foi en cette présence invisible, Feyzin accepta du fond de son coeur sans rechigner. Pouvant lire dans son esprit, l'autre connaissait sa situation, qu'il devait deviner critique en cet instant. Le forgeron imaginait sans peine le boucher penché sur lui comme sur une bête à dépecer, levant son bras valide brandissant un hachoir aiguisé...

Réveille-toi, maintenant !

Le forgeron sentit soudain un poids sur sa poitrine, qui lui coupa le souffle. Il ouvrit les yeux, comme s'il était quelqu'un d'autre... Puis il revint doucement à lui, le sourire déjà présent sur ses lèvres s'élargissant sur ses lèvres.

- Je sais enfin qui tu es... Adiel...

S'apercevant qu'il avait parlé tout haut, même à voix basse, Feyzin sut qu'il avait été entendu. L'ange au dessus de lui - c'était donc lui qu'il avait sentit tomber ! - le regardait avec des yeux ronds... Lui bougea un peu, histoire de le faire réagir plus que ça, et qu'il dégage au moins son corps...

- Oui, je sais, j'ai dormi... Tu me laisses me relever maintenant ?

Le forgeron n'avait perdu aucun sens des réalités, et le prêtre comprenait que son inconscience n'était pas un évanouïssement, ni un sommeil ordinaire... Et lorsque le jeune homme noir se releva, libéré de la masse protectrice de l'ange, ce dernier sut également que quelque chose clochait. La main droite du jeune homme s'était déjà saisie de son arme, prêt à en découdre avec le colosse qui le prenait pour un pleutre, alors que son bras gauche restait complètement inerte...