Ce matin, un lapin...

Dans la forteresse noire, tout pouvait sembler inquiétant aux visiteurs cependant, et fort heureusement, très rarissimes. De la pierre noircie par quelque étrange feu surnaturel, des formes étranges et parfois, cauchemardesques semblaient avoir poussées. Sur toutes les tours, les gardiens de pierre, les gargouilles aux faciès infernaux, veillaient. A chaque coin de couloir, intersection de galerie ou dans chacune des pièce qu'elle fut geôle ou chambre princière, un Oeil du Nécromant surveillait faits et gestes de quiconque passait à portée. Et enfin, il était impossible de se déplacer sans croiser au moins une patrouille nécrotique composée de zombies putréfiés et de squelettes plus ou moins décharnés.

C'était réellement un lieu qui inspirait la crainte et insufflait les pires cauchemars aux êtres un tant soit peu intelligents ou ayant suffisamment de volonté pour ne pas avoir fui en hurlant des cris de terreur.

C'était réellement un lieu de mort et de pestilence, de souffrances et de perversité, d'effroi et de dangers. Un lieu où une armée aguerrie n'oserait s'aventurer à moins de servir loyalement et fidèlement le maître des lieux, le puissant Lord Velvorn.

L'un de ses fidèles serviteurs arrivait, justement, ce matin-là, envoyé par son propre chef, le Big Boss HHPN, vassal du Lord par nécessité. Il était porteur d'un message de son clan, une requête de ceux qui chez eux se faisaient appeler les Mékanos. A demi-terrorisé malgré la fierté d'avoir été choisi pour cette mission de confiance, le chétive créature verte approchait du pont-levis abaissé au pas de course. Dans son ventre noué, la peur se battait avec une faim douloureuse qu'il avait espéré combler sur son chemin. Espoir bien vite annihilé par la nature de la forêt maudite et de ses occupants actuels.

Bien qu'il n'en vit aucun, le gobelin étrange sentit peser sur lui les regards des créatures encore plus étranges qui montaient la garde. Un frisson lui parcourut le dos, de terreur pure. Qu'il ne surmonta qu'en accélérant un pas déjà trop rapide pour lui.

C'est ainsi que le "Gretchin" messager se perdit dans le dédale des couloirs. Ayant voulu éviter une patrouille, il avait obliqué, et tourné, et courut et courut et courut. Pantelant, à bout de souffle, il dût s'arrêter. Son coeur martelait tant sa poitrine étroite qu'il s'attendait à voir l'organe s'échapper de sa prison osseuse. Ses cotes saillantes étaient douloureuses.

"Si faim... Si mal..."

La créature gémissait, appuyé à une colonne, tentant de reprendre un souffle perdu depuis plusieurs lieues. Douloureusement, il extirpa de son pagne le pli froissé et taché qui représentait se mission. Il hésita un instant entre le déchirer, cracher dessus son mépris nouveau-né ou, plus utile, le dévorer à pleines dents. Tentantes solutions. Ses oreilles se dressèrent... Son nez aplati et déformé se mit à s'activer, cherchant un fumet qu'il avait cru déceler dans l'air empuanti de ce couloir obscur. Empuanti ? Oui, mais pas par la charogne... Du foin ? Ses yeux s'étrécirent... Oubliée la faim, oubliée la douleur, ne restait que le chasseur à l'affut. Un petit bruit... plus loin dans le couloir...

Le Gretchin s'avançait, désormais plié en deux, à quatre pattes, humant l'air, écoutant chaque petits sons de ses oreilles en partie déchiquetées par ses pairs. Il y avait là, tout près, son prochain repas. Il le savait.

Une petite boule de poils. Il la sentit avant de la voir. Elle semblait chétive mais plus que ne l'étaient le chasseur affamé. De plus en plus prêt. Bientot, une touffe orange apparût au regard sanguinaire. Une longue langue pointue fit le tour d'une bouche dotée de petits crocs menaçants. La promesse d'un bon repas à venir le faisant déjà saliver abondamment.

Il s'approcha.

S'approcha d'avantage.

S'approcha encore plus... il était prêt à bondir sur sa proie qui ne se doutait de rien, visiblement occupée à grignoter des carottes... qui finiraient probablement en accompagnement du plat du jour de notre chasseur.

Assez proche désormais, il tira un court poignard de sa ceinture, prit son élan et... bondit !!!!

La suite fut très rapide.

Alors en pleine ascension dans son saut prédateur, le peau-verte avait été frappé de plein fouet par une force qui l'avait envoyé voler de nombreux mètres en arrières. Arrêté dans son vol plané par un mur qui lui fractura la moitié des os aux passages, il réalisa seulement, alors qu'il retombait, brisé, qu'il régnait maintenant une odeur de viande grillée des plus appétissantes.

L'homme à l'origine de la décharge d'énergie sortit alors de l'ombre. N'zorta ibn Tengu, sorcier au service du Lord Velvorn depuis bien plus longtemps qu'une simple vie humaine avait assuré, une fois de plus, la mission qui lui avait été confié : assurer la sécurité de sa protégée, la petite Eilwin.

La mine austère, il arborait un petit bouc qui ajoutait à sa mise un petit air méphistophélique. Il était difficile de lui donner un âge, conservé par les arts magiques mais une grande connaissance se lisait dans son regard où brulaient également une haine quasi-permanente. On racontait que cette haine était née lorsque le puissant vizir qu'il était avait perdu famille et honneurs à cause d'un jeune freluquet, voleur de son état...

N'Zorta s'approcha d'un pas lent de sa récente victime...

"Qui avons-nous là... Un messager ?" Il se pencha en avant et, d'un geste sec, arracha le parchemin qui dépassait de la ceinture. "Où as-tu donc volé cela, petite créature sans cervelle ?" gronda-t'il de sa voix profonde...

"Moi... Messager... Big... Boss..." hâletait difficilement la créature, mourrante sans même le savoir. "Je... Je... pas vol... é... pas volé..."

Mais le Sorcier ne lui accordait déjà plus d'attention. Prenant appui sur son Bâton de Pouvoir orné d'une tête de serpent, il se redressa et s'éloigna de plusieurs pas, songeur. il ouvrit le pli et le consulta rapidement, son sourire inquiétant grandissant à chaque ligne. Finalement, il le referma d'un geste vif en disant calmement :

"Cette fois, ma petite Eilwin, je crois que nous allons enfin pouvoir sortir d'ici. J'ai là, dans ce message, une demande de la plus haute importance qu'il ne faudrait surtout pas décevoir... Suis moi, nous allons voir le Lord."

Sa voix trahissait une grande excitation parfaitement contrôlée et une malfaisance beaucoup moins bien contrôlée. Alors qu'il commençait déjà à s'éloigner sur les derniers mots, il claqua simplement des doigts et abrégea les souffrances du malheureux de la façon la plus ignoble possible en faisant éclater son corps de l'intérieur. Son rire lugubre résonnait dans les couloirs...

Carottes, carottes, carottes......

La seule pensée un tant soit peu cohérente qu'Elwin arrivait à formuler. Des carottes, elle en mangeait tout le temps. Et seule cette occupation parvenait à lui faire oublier sa petite construction corporelle et le fait qu'elle pouvait servir de repas à n'importe qui. Absorbé par sa dégustation, elle ne fit pas attention au bruit sifflant que fit la lame d'un poignard lorque celui-ce fût tiré de son fourreau.

Elle entendit bien entendu un bruit sourd puis celui d'une chutte sur le sol mais rien de tout cela ne réussit à l'arracher à sa dégustation de carottes. Une odeur de viande grillée réussit quand même à trouver le chemin de ses petites narines mais n'intéressa pas plus la jeune lapine.

Seule la voix de N'zorta ibn Tengu, son protecteur, la sortie de son repas. Elle l'écouta attentivement assise sur son derrière.

Elle l'entendit bien évidement lui demander de le suivre mais ses carottes l'appellaient de manière assez convaincante, elle se demanda si elle arriverait à convaincre le sorcier de lui en porter une. Mais la chair fraiche qui atterit dessus, à cause de l'explosion de ce malotru, lui fit vite abandonner son projet et elle suivit le sorcier le long du couloir.

Regardant à peine derrière lui, le Sorcier avançait d'un pas rapide dans les couloirs sombre du chateau lugubre. Dans son poing serré, la missive tachée du chef Ork le poussait à hâter le pas. Il tenait enfin un moyen de se rendre utile... Enfin, plutot un moyen de mettre à l'oeuvre les années d'apprentissage de sa camarade involontaire de chaque instant.

Non pas qu'il la déteste, elle n'était pas humaine après tout et c'est pour cela qu'il avait fini par s'attacher à cette petite boule de poils orangée. Mais aucun des deux n'avaient eu son mot à dire lorsque le Lord les avait aparié il y avait de cela bien longtemps... Ensuite, au fil des années, le sorcier lugubre et distant s'était habitué à cette présence constante à ses cotés et inversement, rejetée auparavant, Eilwin avait enfin trouvé quelqu'un sur qui compter. Néanmoins, malgré leur proximité, Tengu n'avait jamais perdu de vue ses ambitions personnelles... Et la lapine le savait bien.

Au détour d'un couloir, N'Zorta réquisitionna une patrouille de passage et leur intima l'ordre de porter sa protégée aux courtes pattes et de les escorter. Il devait voir le Lord immédiatement et refusait de le faire sans respecter un minimum de protocoles : il fallait une annonce avant son arrivée, une escorte conséquente, un peu de prestence, du style !

D'un geste, il fit signe à un Oeil de prévenir le réseau Nécrotique de sa venue imminente. Il appuya l'urgence de sa visite en agitant négligemment la feuille froissée...

"Voici une mission de la plus HAUTE importante dont seule la petite Eilwin saurait se charger. Il me faut rendre compte immédiatement de notre départ imminent au Seigneur Velvorn..." Puis, il ajouta à l'adresse de la boule de poils : "Ma chère petite amie, je vais avoir... nous allons avoir besoin que tu te montres loquace pour cette mission et persuasive auprès de notre mâitre. Sauras-tu faire cela ?"