La tour des anges [Privé]

Chapitre 1 : Le réveil de la femme dragon

En haut de la plus haute des flèches immaculées du planétérin, on peut voir à la fenêtre vide de toute vitre le reflet superbe d’une femme qui s’apprête avec soin et miroir.
Ses deux ailes dépliées avec grâce, l’ange soupire en passant ses longs doigts bagués dans des cheveux miels et bouclés ; elle fait descendre avec mesure ses paumes blanches contre son cou qu’elle incline avec nonchalance d’un coté puis de l’autre.
Prisonnier de son cou et du cadre de ses mains, un collier serpentaire brille de l’éclat pâle d’un vieux rubis, le dragon ciselé dans la pierre semble étrangler la gorge de sa geôlière plus que ses bras nus.
Laissant alors ses cheveux dans un désordre travaillé, la jeune femme prit du parfum enfermé dans un réceptacle de verre et d’or qu’elle vida entièrement sur sa peau.
Personne dans la pièce pour voir l’archange dilapidatrice, celle ci portait une robe parme qui virait vers le rose transparent à certains endroits.
A sa tenue on aurait pût voir une petite fille au goût puéril et irréfléchi pour des couleurs manichéennes, mais ainsi parée de mille feux d’or annulaire, l’ange excentrique et belle faisait plus mature que son goût vestimentaire ne pouvait le laisser entrevoir.
Elle quitta avec un regret à peine dissimulé son reflet, pour se mettre à réfléchir à voix haute.

-« Hum… La fille-monde est presque « réveillée », il en faudrait peu pour qu’elle bascule du mauvais coté… »

Tout en parlant, l’archange des prophéties avait posé sa main gauche sur le rubis serpentaire à son cou ; les yeux fermés elle semblait entrer en communication avec les trois dragons.

-« J’espère seulement que l’ange du gel noir fera ce que je lui ai demandé… Il doit être avec elle à présent !»

Pendant qu’elle semblait pendu à son pendentif, sortit de ce dernier une longue ligne de fumée couleur calcite qui se mit à voltiger autour d’elle, l’entourant presque amoureusement.

-« Evanescent me l’amènera directement s’il n’arrive plus à la contrôler… »

Gabrielle en transe, battait ses ailes nacrées de manière saccadée, un sourire de contentement se dessinait sur son visage volontairement aveugle.
Et alors qu’une nouvelle ligne de fumée émeraude commençait à sortir du collier, on frappa à la porte.
Immédiatement les lignes de fumée disparurent dans le néant, et l’annonciatrice ouvrit les yeux du mécontentement.

-« Qui ose me déranger en pleine annonciation ! Entrez ! »

La porte s’ouvrit alors sur un homme particulièrement bien battit.
Lorsque sa vision lui fut complète, Gabrielle quitta presque immédiatement son masque de courroux et l’invita à entrer dans sa chambre.
Elle le dévisagea alors sans aucune pudeur, lui adressa un sourire éclatant et lui caressa la joue avant d’ajouter.

-« Comment se déroule nos plans sur cette terre… Mon cher Lertène ! »

La porte de chêne se ferma ainsi sur un petit rire cristallin.

Chapitre 2 : Le bel au bois dormant

Après le départ de l'homme, Gabrielle échevelée sur son lit corail poussa un soupir de contentement ; elle prit alors l'enveloppe cachetée sur sa petite table de nuit que son facteur personnel venait de lui livrer en plus de toutes les formules d'usages qui avaient ébranlées plus tôt la jeune femme.
Debout enfin, elle défit le cachet avec un petit poignard précieux ; elle sourit lorsqu'elle fit sortir de la lettre quelques phanères d'or blond.
Reposant le tout au fond d'un petit tiroir caché de son secretaire acajou, la jeune femme quitta à son tour sa chambre sans fermer la porte entrouverte.
L'archange ne craignait pas les visiteurs malveillants dans la tour des anges, en effet les deux anges gardiens de son unique entrée filtraient à merveille ses visiteurs.

Empruntant le petit escalier de pierre blanche, l'élémentaliste plongea plus profondemment dans la partie souterraine de la tour.
Arrivée au niveau une lourde porte en bois, la jeune femme tira d'une poche invisible une petite clé en or qu'elle incéra dans l'ouverture ; la porte poussa un gémissement plaintif avant de souffrir lentement sous l'action frêle de l'archange.

Cette dernière entra dans une pièce sombre couverte sur ses murs de tapisseries scénique, de longs cierges noirs éclairant au milieu de la pîèce une sorte de cercueil de cristal et de gel contenant un homme allongé, dont la respiration lente et régulière était le seul élément qui enlèvait à l'ensemble son caractére mortuaire.
La femme dragon posa un oeil satisfait sur le dormeur au ventre nue, s'approchant de sa bouche, elle y posa un premier et court baiser matinal.

- « On dirait bien que mes lèvres ne sont pas faite pour te tirer hors du sommeil dans lequel je t'ai plongé... Peut être qu'il te faudrait pour toi celles d'un prince charmant! »

Gabrielle en se redressant éclata d'un rire sonore à plein poumon, une main contre sa poitrine comme pour se contenir des mouvement saccadés de son thorax.
L'homme aux longs cheveux lustrés et sombres dormait paisiblement ; à quoi pouvait t'il bien rêver, çelà l'archange de l'eau l'ignorait.

*Du moment qu'il ne se met plus en travers de mon chemin!*

Les ailes de papillon de l'ange dans son dos immobile, magnifiques couleurs vives même dans cet semi-obscurité attiraient un moment l'oeil bleu-vert de l'archange aquatique ; des nuances bleus et rouges dans la ténèbre perçaient sur sa chevelure sombre.
Sa peau anciennement halée, privée de lumière depuis trop longtemps avait perdue de sa superbe ; ses yeux magnifiquement clos ne livraient plus à la visiteuse leurs couleurs indéfinissables...
Enfin calmée, elle poussa un long soupir déchirant, puis repartit vers la porte silencieuse.

- « Et bien adieu... Adiel ! »

Chapitre 3 : Le golem d’eau

Laissant l’ange insensible à ses charmes mais prisonnier de sa toile, Gabrielle remonta au plus haut de sa tour pour entrer dans « l’observatoire », sorte de pièce bibliothèque contenant le savoir de nombreux mondes traversés par le planétérin.
L’archange des prophéties entreposait ici toutes les connaissances et les méthodes divinatoires des contrées et des gens affilés à des branches de son art qu’elle avait pu rencontrer lors de ses brèves escapades sur le sol des hommes.
Il n’y avait pas que des ouvrages, mais aussi des cartes célestes, des sphères en cristal, des télescopes multifocaux, des tables rondes, des jeux de cartes, et beaucoup d’autres objets étranges dont la fonction n’apparaissait pas aussi clairement.

La maitresse des lieux avançait devant une petite table en bois sur laquelle reposait d’affreuses sortes de poupées en son transpercée par des aiguilles muettes, certaines calcinées par une probable bougie qui pleurait sa cire bleu sur l’établi.
Debout, Gabrielle contemplait amoureusement son petit jouet qui flottait au dessus d’une bassine d’eau sombre.
L’objet de ses attentions semblait grossièrement représenter un homme, à qui un enfant aurait dessiné des cheveux bleus avec ses crayons de couleur ; L’archange se saisit d’un doigt pour tapoter notre flotteur avec jeu, en essayant de l’enfoncer dans l’eau plusieurs fois et en le laissant revenir constamment à la surface du liquide.
La poupée nue n’avait pour brassard dans cet océan liquide, qu’une sorte de corset métallique autour de sa poitrine argentée.

-« Voyons comment se comporte notre petit mage nageur en nage… »

Elle attendait une vision qui vint soudain sans la surprendre : elle se retrouvait devant une grotte immense et terrifiante ; pourtant elle n’avait pas peur car elle se sentait bien entourée.
A sa droite une jeune femme était en train d’armer son arc avec plusieurs flèches sombres à la fois, et devant elle une marée au pelage blanc qui fonçait en vagissant pour venir se briser à ses pieds comme l’écume…

L’image la quitta presque aussi rapidement qu’elle était venue, l’ange déçut stoppa net sa récréation.

-« Cet homme est bien trop puissant, il résiste à l’esprit démoniaque de l’eau ! »

Songeuse, la jeune femme fixa le bassin avec un intérêt retrouvé ; un sourire malicieux se dessina alors sur ses lèvres peintes.

-« Mais s’il continu de le contredire ainsi, il risque véritablement de se transformer en un golem d’acier et d’eau ! »

Gabrielle faisait des cercles dans l’eau, presque amoureusement.

Chapitre 4 : Le corbeau et la colombe

L'ange de l'eau quitta son jeu "magic", la main directrice trempée elle lécha son index comme une petite fille trop grande sucerait encore son pouce.
De la fenêtre ouverte de l'observatoire, une colombe immaculée transperça l'invisible barrière d'air encadré pour se diriger vers sa maitresse esseulée.
Gabrielle prit l'oiseau blanc apeuré sur son poignet et caressait doucement sa petite tête plumée avec son index et son majeur sec et lié ; elle murmurait de rassurantes paroles à l'habitante de la volière qui se trouvait juste au dessus de l'observatoire, dans une petite mansarde coquette.

Soudainement un énorme corbeau noir fit son apparition de la même manière, si ce n'est qu'il eut l'extrême politesse de s'arrêter sur le seuil de la fenêtre.
L'archange souria en reposant son oiseau sur l'épaule menue et lui donnant une petite graine pour qu'il calme sa faim.
Elle fit mine au corbeau d'approcher, mais ce dernier resta indifférent sur son perchoir de fortune, si bien que Gabrielle en éprouva quand même un léger sentiment de frustration.

Mais ce dernier s'envola aussitôt (le sentiment et l'oiseau) lorsqu'elle sentie derrière elle une précense sensuelle et familière qui emplissait la pièce malsaine.
Le mâle derrière elle dégagait une telle aura impitoyable dans son dos, qu'elle en frissona par avance de plaisir.

- « Vous savez vous faire attendre, ange de la mort ! »

Elle se retourna gracieuse et belle en face de son visiteur, le bel Azrael et lui montra un siège en bois vernis devant une table haute en cadrillée.

- « J'ai déjà dressé l'échiquier... Vous prendrez les noirs je suppose, et moi les blancs ? »

La galanterie n'attendait pas de réponse, Gabrielle se dirigeait également vers son siège jumeau en face au visage sculté pareillement.

*Jouons avec la mort aux échecs*

Sur son épaule, la colombe s'agitait...

Azrael filait comme une flèche aux empennages noirs de jais au-dessus de la couche nuageuse, épaisse aujourd'hui. Il survolait une nuée à l'aspect de dalles grisâtres, certaines zones plus foncées que d'autres, ressemblant plus à une pâte disgracieuse qu'aux aériens filamenteux qui flottaient au plus haut du firmament. Une des rares choses qu'adorait l'ange, c'était voler en haute altitude. Son manteau noir, mince mais permettant de garder une excellente isolation, avait été taillé spécialement pour lui. Bien souvent, pour se délasser, il se permettait de filer dans les cieux, plus haut que la plupart de ses congénères n'osaient s'aventurer. Ses excursions l'avaient même mené au-dessus des plus légers des nuages, et il avait pu découvrir des nébulosités noctulescentes, irisées au plein milieu de la nuit alors qu'aucune autre lumière ne perçait ; il s'était immiscé dans un nuage d'orage tourbillonnant, dans l'oeil d'une tornade naissante ; il avait volé sous le blizzard, virevoltant comme un flocon à travers l'épais voile de neige.

Aujourd'hui, il n'avait pas le temps de s'adonner à de telles fantaisies, sa destination était claire : le planétérin de Portlabor. Il savait plus ou moins qu'il se trouvait près de son point de chute, aussi vira t'il légèrement sur le côté pour redescendre sur les flancs du nuage solitaire qu'il survolait. Il replia légèrement les ailes pour augmenter son incidence et se laissa tomber en piqué, gagnant de plus en plus de vitesse. Finalement, une fois qu'il eut percé les plus bas des moutonneux, qui méritaient bien leur nom vu leur aspect, il écarta ses ailes de toute leur largeur, profitant de la vitesse qu'il avait gagnée pour se laisser descendre en planant vers l'île volante, qu'il discernait à présent nettement. L'ange de la mort glissait gracieusement dans les airs, adoptant d'un battement d'aile une large courbe descendante qui le faisait lentement se rapprocher de la base des anges. Profitant d'un fort courant d'air, il fila rapidement vers la tour des anges, et la plate-forme d'atterrissage pour « VIP ».

Il s'y posa avec douceur et avança vers la porte qui donnait dans un corridor. Les deux gardes s'écartèrent craintivement, laissant passer l'ange redouté. Il eut un petit sourire en voyant ces marques de défiance fort compréhensibles. Alors qu'il montait quatre à quatre l'escalier qui le mènerait jusqu'aux appartements de Gabrielle, il avisa une fenêtre ouverte et murmura quelques mots rauques. Immédiatement, le monde entier sembla passer en négatif tandis qu'apparaissait Mannin, un de deux corbeaux d'Azrael. Il était principalement destiné à l'espionnage et la discrétion, étant moins imposant que son frère, Hugin, plus gros et plus combatif. L'oiseau aux plumes noires de jais, d'un bond se jeta dans le vide et remonta comme une flèche après quelques secondes de chute libre qui n'inquiétèrent guère son maître, qui se dit brièvement qu'il n'était pas le seul à avoir un sens du spectacle. Sans plus s'en soucier, il finit d'escalader les marches de marbre et arriva dans la pièce, alors que Mannin venait de décoller à la fenêtre. L'archange de l'eau se retourna, sublime dans ses atours de pourpre et de rose. Son parfum entêtant saisissait déjà Azrael alors qu'il n'était qu'à l'entrée de la pièce... il sourit, de son inimitable sourire insolent. Elle lui montra l'échiquier qu'elle avait d'ors et déjà dressée et ils s'assirent tous deux face à face.

« Eh bien, belle Gabrielle, cela faisait bien longtemps que je n'avais eu le plaisir de vous voir... Il faut avouer que je me suis absenté particulièrement longtemps, et mes résultats n'ont pas eu la portée que j'escomptais... Mais, je ne désire pas vous embêter plus longtemps avec ces détails... Bref, honneur aux blancs, ou plutôt devrais-je dire... aux dames ? »

L'archange eut un petit rire cristallin et avança un pion de deux cases, en plein milieu de la zone de de jeu. Une ouverture classique, mais qui ne devait pas masquer la subtilité de son jeu : elle adorait mener la danse, et piéger son adversaire alors qu'il se sentait entièrement en sécurité. Azrael, lui, préférait l'innovation et un jeu très agressif : il n'hésitait pas à sacrifier des pièces, même à perte, pour gagner, et bien souvent, il jouait volontairement avec le feu. Toutefois, à ce moment, il préféra commencer un peu plus en douceur, s'ingéniant à copier littéralement tous les mouvements de Gabrielle. Elle sortait son fou, il faisait de même. Son cavalier passait par-dessus sa ligne de pion, il l'imitait. Et maladroitement, il avança son pion. C'était une manoeuvre apparemment totalement idiote : la case n'était pas protégée par aucune pièce, et le fou de l'archange le menaçait directement. La femme considéra le plateau et vit que rien de direct ne la menaçait, aussi prit-elle l'innocente pièce, même si elle savait qu'Azrael avait un plan derrière la tête... Les premiers coups se déroulèrent avec rapidité, les deux joueurs agissant avec calcul.

*Tout comme en réalité, les coups s'enchaînent... Le fou noir virevolte à la recherche de lui-même, la tour noir complote et surveille son protégé... Le roi noir surveille l'échiquier sans agir, à la recherche d'un but plus terrible encore...*

Rapidement, la partie devint plus tendue. La bataille pour le centre devint cruciale et déchaînée, bloquant le reste de la partie autour de ce point focal. Azrael s'était débrouillé pour mettre un des fous blancs à l'écart, prisonnier sous de multiples menaces, mais Gabrielle dominait largement, utilisant chaque pion avec brio, tandis que l'ange de la mort, attaquait férocement pour débloquer la partie, n'hésitant pas à sacrifier une partie de son effectif pour décoincer la situation, pour l'instant fort verrouillée...

Chapitre 5 : La partie d'échecs

Sur l’échiquier-monde en noir et blanc, les pièces de nacres et de coraux légers et teintés de nuances colorées et diaphanes, avançaient comme ses pions vers le destin programmé par l’onde, dans les doigts fins de l’astromancienne.
Le jeu figurait une bataille entre le bien et le mal, d’un coté la partie de Gabrielle comprenait encore de nombreuses pièces figurés, figurant un personnage ailé et angélique, de l’autre coté, le corbeau regardait avec envi les pièces sombre et les démons qui peuplaient déjà le cimetière des pièces d’Azraël
La partie déjà amorcée avec galanterie et vigueur, l’archange semblait apprécier le jeu viril et sacrificiel de son adversaire.
Trop concentrée sur le centre de ce monde miniature, Gabrielle déplaçait des tours aux ailes immenses et légèrement sombres, des cavaliers blancs sur lesquels une archère céleste semblait tirer de vraies flèches ou encore des fous drapés en moines ailés et armés d’épées longues…
Derrière ses démons-pions qui passaient largement à la table des sacrifices, Azraël libérait des tours vides fantasmatiques, des fous aux ailes déchus portant de longues hallebardes, des cavaliers sordides et squelettiques…
L’améthyste au front de l’ange ne brillait pas de ses halos fantasmagoriques, Gabrielle brisa alors le silence concentré.

-« Comme tu le sais, je joue à un jeu au combien plus serré et dangereux avec le roi vert… »

En effet, l’une de ses cavalières trop exposée dans les lignes ennemies, se fit dévorer par un vieux roi noir et moussu aux yeux mauvais.
Azraël n’eut pas le temps de savourer cette petite victoire programmée par l’archange, comme un clin d’œil au futur, car le coup suivant dans l’univers des possibles le laissa perplexe.
Ce n’était pas seulement une partie d’échecs, mais bien l’une des nombreuses curiosités de l’observatoire, qui ouvrent une porte vers l’avenir…

*Le monde est un jeu où nous sommes les acteurs*

La surprise vient de l’échange qui suivit, les deux fous se faisaient face : le moine pleurant à l’épée blanche contre l’ange déchu à l’arme d’hast ; ils semblaient s’affronter dans un duel de jumeau en valeur et puissance accordée à leurs pièces.
Gabrielle posa son moine sur la case de l’ange déchu en sachant très bien que celui-ci ne survivrait pas au prochain coup.

-« Et bien quoi ? Ne me crois-tu pas capable de faire ce genre de sacrifice si je veux remporter la partie et les prophéties ! »

Elle souriait, l’ange la regardait avec une telle intensité qu’elle se sentit chavirer par la profondeur de son regard ténébreux ; se levant à peine et avec lenteur, elle approcha ses lèvres peintes, les mains perdus dans le jeu pour se pencher sur son adversaire si sexy immobile et assit.
Fermant les yeux, le prochain échange fut court mais c’était sans doute le meilleur des coups qu’Azraël avait put lui montrer depuis le début de cette partie.
Puis elle se retira, elle et son parfum mortel, ne voulant pas lui faire croire qu’il avait réussit à mettre en échecs sa reine, elle ramena une de ses mèches bouclées en arrière de son visage rose et posa un regard presque curieusement surpris sur son autre main posée sur l’échiquier.

-« Je crois que tu as gagné finalement, il semblerait que j’abandonne… »

La main coupable écrasait une pièce aux teintes plutôt rosées, qui couchée signifiait l’abandon de son camp ; le jeune roi blanc qui portait une épée magnifique mais bien trop grande pour ce gamin à la couronne de travers gisait sur le coté lorsque Gabrielle releva sa dernière main de l’échiquier.
Elle gloussa gentiment en regardant son erreur.

Azrael sentait encore le goût du baiser de Gabrielle sur ses lèvres, et celui-ci effaça comme l'éclat diamant efface la brillance du verre la satisfaction de la victoire qui venait de lui être accordée. Sur son front, l'améthyste brûlait furieusement de son contact avec la porteuse des trois dragons. L'ange se sentait extrêmement faible, comme souvent ses derniers jours. Il se demandait s'il s'agissait du contact prolongé avec de simples humains, ou encore des épreuves qu'il avait eu à affronter. A ce simple souvenir, il sentit les poils de son échine se hérisser, comme si son corps gardait encore dans le moindre de ses nerfs une trace résiduelle de l'épouvantable torture qu'on lui avait fait subir. Un véritable cauchemar, jeu de mot noir pour quiconque saurait que le sinistre personnage se surnommait lui-même Cauchemar, un nom relativement bien porté. Ses mains étaient encore tremblantes de ces heures épouvrantes, passées dans le noir le plus complet. Mais il valait mieux oublier et effacer tout ceci.

*Il n'est plus le temps d'avoir des remords, de toute façon. J'ai réussi à le tuer et c'est ce qui compte. C'est une lourde charge sur mes épaules qui s'envole, ce renégat m'a gêné trop longtemps pour continuer à vivre... Malheureusement, j'ai encore beaucoup de problèmes, et pas assez de temps pour les régler, d'autant que j'ai gâché plusieurs semaines à éliminer définitivement l'un d'eux... Heureusement, j'ai tout de même quelques raisons de me satisfaire. Je contrôle -plus ou moins- la situation ici, et Gabrielle se montre pour l'instant très coopérative. Espérons que cela continue comme ça, je n'ai pas envie de la tuer et la tour des anges est l'endroit rêvé pour contrôler ce monde ridicule... Sa force de caractère est trop grande, et malheureusement, je sais qu'elle finira par me mettre des bâtons dans les roues. A vrai dire, il faudra sans doute que je la supprime avant qu'elle ne me cause trop de problèmes... mais si je le fais, j'élimine mon sauf-conduit. Je ne suis pas aimé dans la cité, et je le sais très bien.

Beaucoup seraient heureux de m'éliminer. Sans compter qu'un seul archange est encore dans la possibilité d'assurer ses fonctions, Uriel, et je n'ai pas du tout envie qu'il arrive sur scène. Mais je ne peux pour l'instant rien faire contre elle, sinon attendre, car même les poisons subtils que je pourrais déployer pourraient être détectés par ses soins... en réalité, je ne peux pas dépasser le stade de la pensée. Et je doute qu'elle accepte de me donner un héritier, ce qui lui donnerait pourtant une toute autre utilité. Les mortels sont parfois diablement embêtants. Leur libre arbitre, bien sûr... Une plaie infectée qui me gêne dans mes actions. Gabrielle rêve de le contrôler lui aussi... Sa tentative est vouée à l'échec, ces maudits humains contiennent tous en eux une braise de liberté prête à s'enflammer dans les plus noires ténébres. Après tout, qu'ils s'entredéchirent tant qu'ils veulent.

Mais après tout, ceci n'est que spéculations. Attendons et observons.*

Azrael se demanda d'où lui venaient ces pensées. Les délires enfiévrés qu'il avait connu dans sa prison avaient manifestement ébranlé son psychisme. La haine rongeait son coeur aussi sûrement qu'une maladie terrifiante et Grief semblait-elle même l'appeller. L'améthyste, elle s'était mise à palpiter frébilement sur son front. L'ange de la mort ferma les yeux et tenta de vider son esprit. Aussitôt, toute contradiction s'évanouit, en même temps que ses forces, et il dit à Gabrielle :

« Désolé, ma chère, mais ce long voyage m'a éprouvé. Je... je vais aller me reposer au Perchoir. Si vous voulez m'y accompagner, je serais ravi de m'entretenir avec vous des dernières avancées des prophéties et de l'échiquier que vous dressez sur l'immense terrain de jeu qu'est notre monde. »

Le Perchoir était l'endroit le plus haut de la tour des anges, le lieu de séjour d'Azrael. Cette petite élancée sur le vide était déserte avant son arrivée ; mais quand il était devenu le compagnon de Gabrielle, il avait choisi cet endroit, dédaignant les appartements somptueux et les suites luxueuses qu'on lui avait proposé. De-là, il bénéficiait d'un panorama imprenable, et surtout, savait qu'il était probablement l'être le plus haut situé de ce monde. Sans compter que la pièce avait une histoire longue et complexe, autour de laquelle tournait de nombreux mystères. Pour ces raisons et bien d'autres encore, l'ange avait choisi le Perchoir comme habitation ; mais plus prosaïquement, il avait aimé l'aménagement circulaire de l'endroit, et le vent cinglant ainsi que le froid qu'il y régnait parfois ne le gênaient pas.

Chapitre 6 : Le cristal de l'unicité

Gabrielle regardait d’une manière presque indécente l’ange Azraël lorsqu’il lui fit l’élégante proposition de monter au perchoir avec elle.
Elle lui sourit, et le voyant quitter la table de jeux, elle le rattrapa avec une précipitation forcée pour s’accrocher à l’un de ses long bras arachnéens.
Si proche de lui, elle pouvait sentir l’intérêt palpable qu’il lui portait, et même si son visage s’autorisait à quelques lassitudes, le désir n’était pas loin.

- « J’aurais un mission à te confier, lorsque tu sera remis de ton errance.

Elle marqua une pause, avant de lâcher dans le silence de ses atours.

- « Le cristal sera bientôt complet, et je voudrais qu’à ce moment tu t’en empares pour moi… »

Le rubis serpentaire semblait se mouvoir sur son cou étranglé, d’une pâleur incomparable.
Devant l’air à demi surpris de son amant, elle continua d’une manière plus fluide.

- « J’ai besoin du cristal pour faire venir d’autres que l’ange du gel dans ce monde ; les dragons sont formels et l’améthyste du démon à bien du te prévenir : le réveil du grand démon Bélial est un signe que la porte est en train de s’ouvrir… »

Elle se colla contre lui, presque amoureusement pour lui glisser à l’oreille dans un baisé susurré et sucré.

- « Si tu me la ramènes, je ferais tout ce que tu veux de moi…»

Elle faisait allusion à l’enfant qu’il souhaitait d’elle, et dont de toute manière elle aurait besoin pour ses plans de conquêtes futures…

*Et au pire s’il échoue à voler le roi vert, je m’arrangerais avec le seigneur Velvorn pour récupérer l’améthyste du démon qui orne son front…*

Elle lui lécha l’oreille avant de se retirer à son contact.

- « Je dois te laisser par contre, j’ai un rendez vous, prévu de longue date que je ne veux manquer sous aucun prétexte ! »

Laissant l’ange dans l’observatoire, elle quitta la pièce dans un sourire, pour se rendre dans la pièce privée du conseil de l’Elementklis ; en entrant dans la salle ronde, une magnifique table en bois carré l’attendait avec un ange somptueux à la peau sombre.
Faisant une légère révérence à l’ancien, l’archange de l’eau glissa avec protocole.

- « J’espère ne pas vous avoir fait trop attendre… votre "sagacité"… »

Chapitre 7 : L’archange du jugement

Il se tenait là et debout devant elle, majestueux dans sa plus belle tenue de juge ; Uriel l’archange de la terre l’attendait dans une pièce emplie de ses magnifiques ailes d’or.
Rares étaient les réunions de l’Elementklis, le conseil des quatre archanges élémentaires, mais encore plus rare était la présence de l’ancien magistrat à ces réunions ; le dernier sommet où les élémentaires s’étaient retrouvés ensemble datait déjà de plus d’une année, et il n’était pas insolite que l’un d’eux manquât à l’appel, tenu par de diverses préoccupations excusatoires permettant d’éluder la séance.
Plus épisodiquement, la pièce muette avait vu au combien de rendez vous privés de toute sorte entre les quatre seuls anges capables d’en franchir le seuil, magiquement protégé des murs aux oreilles indiscrètes.
Après son introduction, l’astromancienne se permit une courte révérence envers l’archange le plus vieux de leur confrérie ; tenue au rôle de juge céleste, Uriel détenait le pouvoir judiciaire là où Faydel, l’archange disparut du feu était en charge de l’armée céleste.
L’archange de l’eau Gabrielle, s’étant auto attribué la gestion des armées en l’absence mystérieuse de son frère, elle songeait que la présence exceptionnelle d’Uriel était justifiée par ces bouleversements importants qui aurait secoué jusqu’à ses « enfers » le vieil édile.
Même s’il avait plus de deux fois son âge, sa beauté calme était sans appel ; ses cheveux blancs qui lui tombaient agréablement sur la nuque bien lissée, sa peau d’ébène qui rappelait à tous son élément qui était la terre, et sur ses ailes d’or les richesses métalliques qu’elle produisait.
Et c’est bien sur ce sujet politique qu’il l’entraina alors, lui intimant de prendre place il l’imitât en se posa avec majesté sur une chaise du bois le plus beau, il accusa.

- « L’archange illusionniste de l’air, Adiel ne donne aucun signe de sa mission… »

Il marqua un silence travaillé.

« Feydel est porté disparut depuis un mois et même vous sa sœur qui partagez son élément contraire vous n’avez aucune idée d’où il se trouve… »

Il reprit sur le même rythme.

« Comprenez ma démarche, j’ai grande peur d’être le prochain sur la liste… »

Il ne paraissait nullement agité par ses déclarations, au contraire Gabrielle perçut immédiatement la fausse candeur du vieillard.

« N’auriez vous pas une… prédiction à me faire ? »

La balle était dans le camp de la défense à présent, l’ange de l’eau dégluti poliment en préparant son réquisitoire ; face au juge rodé aux mensonges les plus élaborés, elle décida finalement de ne dire que des banalités.

- « Vous savez très bien que je ne peux lire la destiné de gens tel que vous, chercher dans le futur est une opération exponentielle complexe, où la puissance est inversement proportionnelle à la facilité de lecture… »

Il la coupa.

- « Laissez là les détails techniques voulez vous…. C’est bien regrettable… »

Il n’avait pas l’air de quelqu’un de profondément déçu, car il s’attendait déjà à une telle réponse de la part de la prophétesse.
Un jugement n’est pas comme une prophétie, Uriel avait l’habitude de trancher ses décisions et l’incertitude de l’art divinatoire ne pouvait que le faire sourire.

*Je rêve là, où il se fou de moi !!!*

Chapitre 8 : L’arbre de la connaissance

Gabrielle temporisait, l’archange Uriel faisait partit de l’ancienne génération des élémentaires qui s’était trouvée frustrée de ses anciens membres lors de la première guerre céleste ; d’expérience l’astromancienne savait que dans cette période assez flou de l’histoire du planétaire, elle avait une carte à jouer.
Adiel, Faydel et sa sœur Gabrielle avaient remplacés en ordre dispersé les trois anciens tombés, lorsque le temps et l’espace révéla leurs vocations.
Beaucoup de rumeurs concernant le juge se faisant justice lui-même nourrissait la réputation de l’archange isolant, mais fouiller dans le passé de son confrère était une tache complexe, que seule Gabrielle semblait s’être acquittée, aidée sans doute pas sa curiosité mystique.
Perdue dans les connaissances privées de son juge, elle restait gentiment muette devant le magistrat faisant un récépissé de preuves qui se voulait accablante dans le sous entendu et la forme.

-« Je reste galant observateur de votre ascension ma chère amie, je ne voudrais rien faire qui pourrait vous déplaire… »

Il enchainait.

-« Déjà d’autres sont tombés sous votre ordre, c’est bien moi qui est accédé à votre requête, concernant le jeune Sokuu… Cette fallenisation !»

Il prononçait le dernier mot presque avec dégout, puis de plus en plus vite.

-« Il y a un an l’archange de l’air et cette mission qui le retient depuis un temps bien trop long dans ces montagnes gelées… Suite à l’une de vos nombreuses visions… A la recherche d’un vulgaire artefact prisonnier des glaces dont tout le monde se fiche éperdument !»

Il se rapprochait physiquement de la table, vers elle toujours interdite.

-« Dites moi où se trouve l’enfant-étoile, interrogez pour moi les dragons, je dois m’entretenir avec lui… Immédiatement !»

Gabrielle éclatât d’un rire qu’elle ne contenait plus.

-« Mais calmez vous je vous pris mon amis, vous perdez là l’usage des convenances. Pour accéder à votre requête ayez au moins la courtoisie de ne pas me considérer comme une machine à prédiction. Ne me balancez de la sorte tous les griefs que vous entretenez à ma charge… »

Puis plus doucement, même s’il n’y avait aucune raison d’être entendue

-« Il est ici… Au dessus de nous ! »

L’archange juge tiqua aussitôt, comprenant qu’elle faisait allusion à Azraël sur son perchoir, il était certainement bien informé de leurs relations.

-« Vous ne voudriez pas que le fruit défendu d’Alexielle sache qui je reçoit réellement dans cette salle ! »

Chapitre 9 : La liche glaciale

Le geste du juge la surprit aussitôt, celui-ci d’encercler son poignet avec une force qui ne devait rien à son grand âge ; Gabrielle avait plus de mal en essayant de s’échapper de ces menottes, qu’il ne voulait vraiment lui en faire.
Cependant la pression et le stress de ce contact réveilla le dragon rubis à son cou étranglé, l’archange posa sa main encore libre et battante sur son cou, comme pour étouffer un feu trop puissant, brûler une corde suicidaire, promesse d’une vision qu’elle ne contrôlait déjà plus.
Uriel la regardait impassible, apparemment immunisé aux stratagèmes du beau sexe, il attendait avec une patience expérimentée.
Soudain ses yeux révulsés se retournèrent dans leurs coraux blancs, et une fumée étrange et serpentaire cracha de sa fine gorge ouverte.

-« Elle sort de ces glaces éternelles, la liche froide aux pouvoirs d’immortels…

Gabrielle et Uriel se tenait debout à présent, dans cette action de violence et de vision.

-« Les démons se relèvent un à un de leurs prisons d’acides… dans les reflets d’une glace… sur les plus hauts sommets gelés des montagnes noires… »

Uriel ne démordait par son étreinte, il insista.

-« Continuez… »

Entravée par ce contact physique à la réalité, Gabrielle repris légèrement conscience de sa débâcle prophétique complète, et à cet instant là, elle se risqua à orienter son annonciation dans un sens tronqué par rapport à la réalité du film en direct qui passait devant ses yeux.

-« La mission de l’illusionniste est un échec… l’artéfact qui aurait dut empêcher son réveil est toujours en sa possession…. Il est... plongé dans un sommeil sans fin… »

Habitué aux périphrases de l’astromancienne, Uriel crut comprendre avec horreur que l’archange de l’air avait expiré.

-« Il est mort ! Mais c’est… impossible ! Je l'aurais ressenti...»

Il ne se rendit pas compte du sourire esquissé par Gabrielle à ce moment là, elle continua imperturbable.

-« Après le réveil du grand démon Bélial… C’est maintenant la venue de la grande liche… Galderah'mokal … »

Uriel la lâcha lorsque reprenant enfin la maitrise de son corps vecteur, Gabrielle s’effondra sur sa chaise de marbre, la main sur son front brulant ; la moule perlière de ses paupières s’était refermée sur son plus beau bleu-vert, la fumée était réentrée.
Uriel marmonnât dans sa barde invisible des mots sans suite.

-« Adiel ne peut pas pu mourir comme celà… C’est un maitre de l’illusion… Vous avez du mal appréhendé cette vision… Il pourrait disparaitre de la face du monde sans que personne ne le retrouve, pour autant il serait encore en vie… Gabrielle !!! »

Elle plongea un regard mortel dans les yeux de l’archange de la terre.

-« Je commence en à avoir plus qu’assez de toutes ses interruptions… Retournez à l’étude de vos dossiers monsieur le juge, avant que je ne soit moins complaisante que je ne l’ai été avec vous depuis le début…»

Plus déférente cependant, elle continua.

-« Je n’ai pas de réponse certaines concernant Adiel, vous avez peut être raison… Qui sait si vos rêves et leurs toiles illusoires ne vous apporteront pas plus de renseignements précieux sur cet élémentaire bien silencieux… Peut être que sa muette disparition depuis une année pour une mission qui est un échec maintenant nous en sommes certains, vous apportera le réconfort des cercueils amicaux, plutôt que de chimériques conjectures… »

Elle enchaina avec une pointe de mélancolie.

-« Cela fait bien trop longtemps que je ne rêve plus… »

Chapitre 10 : Le combat des élémentaires

Les deux anges se tenaient face à face, Uriel étant curieusement silencieux après le récital de l'élémentaire.
La table commençat à disparaître progressivement de la pièce ronde qui semblait s'élargir au fur et à mesure que de légers signes de surprise se peignaient avec charme sur le visage poudré de Gabrielle.
Elle cherchait son regard, comprenant la suite logique de cette constatation; elle n'en croyait pas la venue possible, mais pourtant...

- « Permettez ma dame, puisque notre conversation mène à une impasse, que je remette au goût du jour le défis des pairs! »

Lui rendant son sourire, il poursuivit.

- « Un duel contre vous, au vainqueur une vérité absolue ! »

Puis plus loin.

- « Etes vous prête ma chère? »

- « Ma chair s'apprête bien... Je suis à vous. »

Lente statue de sel, Gabrielle vit surgir dans son périmètre, l'épée d'ailes et d'or, d'elle on dit qu'elle dort, mais pour l'occasion l'escrimeur juge la fit fondre comme une tourterelle, belle tour d'ailes projetée sur le cou de l'astromancienne à la colombe en colombage superbe.
Gabrielle ne bougeait pas, la rapidité du juge à exécuter sa sentance semblait figer son arme maintenant si proche d'elle dans une immobilité aquatique.
En effet une fine barrière d'eau remuait entre la lame et le cou, pour stoper ce coup, un filet d'eau dançait tout autour d'elle comme une barrière d'atomes fluides.
Gabrielle releva le menton en direction d'Uriel comme pour un défi.
Uriel sourait en luttant contre ce si petit filet d'eau que Gabrielle voulait infranchissable et pourtant ses yeux s'écarquièrent de voir une lame qu'elle avait de plus en plus de mal à garder loin d'elle, lorsque le mâle plongea son aile-épée au travers de sa barrière et transperçat net la jeune femme.

L'illusion aquatique prit fin, et enfin Uriel ne fit que trancher une flaque d'eau qui tomba à ses pieds.
Devant le vide, il sentit dans sur son épaule le tapottement d'un éventail, et dos à dos, Gabrielle penchant sa tête en arrière lui susurra.

- « C'est ce que j'apelle un coup d'épée dans l'eau... »

Uriel fit une large attaque circulaire pour atteindre son dos, mais déjà Gabrielle avait repris ses distances.
Secouant son éventail d'une main, le fouet dans l'autre semblant se deplacer comme une murène cachée dans des coraux, prête à surgir et ondulant à la moindre occasion.

- « Vous n'êtes vraimment qu'une poule mouillée à me fuir, vous ne gagnerez jamais ainsi... »

Contre lui, raccroché à une chaine d'or, un livre précieux rouge rubis écrit en code s'ouvirt dans ses mains, il en fit la lecture psalmodiante.
De sa main tenant le livre, de l'autre l'épée, et jettant un peu de terre au mileu de la salle, un golem sombre se formait à partir de son énergie vitale.
Gabrielle lança son fouet gigantesque sur la bête sans âme et sans sang, entourant l'un de ses membres comme pour le briser, mais sur le golem en question, sa manoeuvre n'eût pas plus d'effet d'une morsure de piranas sur le cuir d'un éléphant d'Afrique.
Le golem approchait dangeuresement d'elle, la fesant camper sur des positions, Uriel continuait derrière lui son flot de paroles muettes, les yeux sur son ouvrage pour maintenant l'invocation active.
Au dessus de sa tête, un nuage plafonnier qu'il n'avait vu paraître, déverçat sur lui et son bouquin, des larmes brûtales et sans alarmes.

- « Cette page vous est devenue inutile à présent... Qui est le coq mouillé maintenant? »

Elle demeura interdite devant le seul changement de la pièce, le golem toujours présent et menaçant, Uriel éclata d'un rire sonore et trempé comme l'acier de sa lame.

- « Je n'écris pas dans mon code avec du sang, ni de l'encre... Cette erreur est fatale, je vous juge : coupable ! »

Le poing du golem insensible s'écrasa sur elle.

*Silence*

- « Et bien, la justice est elle aveugle pour ne pas regarder au bon endroit ! »

- « Mais combien de clones avez vous donc ainsi ? »

- « Un seul me suffit pour écourter vos nuit... »

- « Tout depend de ce que vous entendez par là, et de la raison qui vous pousserait à vous glisser dans mon lit ! »

Les deux anges souriaient, s'affronter l'un contre l'autre comme le ferait des gamins dans une cour de récréation, se faire la cour tout en cherchant à couper court au combat, voilà de quoi dissiper leurs monotones vies.

Chapitre 11 : La prison aquatique

Uriel gardait un œil sur son golem ahuri devant le vide entre sa main et le sol, plus que de celui de son esprit ; l’autre étant pour le plafond, où à la place de l’averse, se tenait l’adversaire.
Gabrielle suspendue telle une méduse, ses longs cheveux bouclées en autant de tentacules qui pleuraient vers le sol ; de la grotte perchée de ses ailes diaphanes, le juge d’où il était placé admirait ce paysage de sainteté.

-« Un nuage qui sent aussi fort le parfum, j’aurais put me douter… »

Dans un rire, Gabrielle fondit vers lui, mais pas avec autant de vélocité qu’il ne lui avait témoigné ; sortant une petite dague courbe, comme d’autre sortent des crochets, elle se décrocha du ciel, pour venir l’estoquer.
L’aile d’or du juge en fit l’élégante parade au dessus de lui, elle tomba à ses pieds.
Plaçant une main sur le sol, l’archange fit surgir progressivement du sol, une sorte de bloc compact de molécule d’eau qui entourait intimement notre libraire, cherchant à l’englober entièrement comme pour un aquarium où il serait le poisson.
N’ayant pas de branchie, Uriel adressa son aile-épée encore libre de cette prison qui le tenait déjà à la taille, en direction de la dévote à ses pieds.
Gabrielle encercla de son fouet l’arme du poisson rouge, tandis que sa prison aquatique finit par englober Uriel complètement.

Se relevant enfin, elle lui sourit gentiment.

*Au fond, que m’importe la victoire, s’il meurt…*

Mais son sourire ne fut de courte durée, alors qu’elle pensait son cercueil d’eau intarissable, l’apnéiste l’attirait vers lui déjà avec son épée encore enroulée dans le fouet.
Frustrée d’autant de force, elle dut lui céder la garde de son arme ; elle se recula un peu par reflexe, contre cette force murée dans l’eau, le fouet murène flottait en perdition.
Soudain, des dernière bulles cachée dans ses poumons, L’archange sortit du même endroit que la terre qui avait servit à faire le golem, un paquet de minuscules points qu’il jetât dans sa prison parallépipédique, comme d’autres font avec de la nourriture pour poisson.
Les graines suspendues se mirent à croitre rapidement en racines de fleurs exotiques aux couleurs changeantes, et avalèrent à une vitesse improbable toute l’eau geôlière.

Gabrielle seule et presque sans arme, se tenait maintenant entre une sorte de géant béta de terre et un homme trempé à l’os qui un genou au sol récupérait son souffle.

-« Tentative d’homicide volontaire, sur une personne de ma qualité… »

*Bruit de respiration intermittente*

-« Cerbérus, mon géant de terre, applique ma sentence ! »

Le géant massif se retournait déjà ; Uriel souriait bien sûr, ce duel était un jeu pour lui.
Lors d’un combat de pair, chacun se donne à fond connaissant et respectant la force élémentaire qu’il affronte, la mort effrontée ne peut pas être une issue dans ce genre de combat.
Le duel se termine lorsque l’un des deux accepte sa défaite ; avant cela la méfiance est de mise…

Chapitre 12 : Léviathan

Prise entre deux feux, l’eau calme se replia sur elle-même et ferma les yeux ; déjà on sentait une ostration autour d’elle, comme une profonde aura abyssale qui essaierait de resurgir à sa surface.
L’onde sonore d’un sonar dans le milieu liquide de ses viscères, s’exprima enfin à l’extérieur par une fine perle d’eau sur la joue de Gabrielle.
En faisant ainsi le sacrifice d’un souvenir malheureux, au dragon du passé l’espace de ce lieu…

Résurgence en surjet d’un moment de son histoire, le sujet d’une femme jetée par un homme n’est jamais beau à voir.

-« Je suis désolé, votre nature même m’empêche de vous aimer… Adieu ! »

-« Adiel… »

La gouttelette fine finit dans la main de l’infirme sentimentale, elle rouvrit soudain les yeux face à son adversaire qui s’était relevé, entouré qu’il était par une sorte de jardin exotique qu’il avait lui-même planté pour se défaire de sa précédente passe.

-« Viens à moi dragon des mers solitaires, mon bijou aquatique… »

Tandis qu’elle psalmodiait, un nuage longiligne commençait à pleurer au dessus d’elle en des courants sinueux

-« Je t’invoque Léviathan, démon aquatique de l’eau ! »

Un dragon ailé et long à la gueule acerbe, flottait au dessus d’elle ; ses écailles avaient la forme des grands poissons, et autour de lui de fines particules d’eau suintaient comme un poison.

Offrant son dos à tarzan et sa jungle, Gabrielle pointa l’index de la main au fouet perdu, en direction de Cerbérus.

-« Détruis moi ce bon chien de garde, sans queue ni tête… »

Le dragon déchirant, fondit sur sa proie, et l’eau traversant la terre, lui en coupa le chef.
Il encerclait déjà le géant décapité de ses anneaux constricteurs.

Derrière elle Uriel, l’œil toujours perdu dans son recueil rouge chuchota une réponse qui ne lui parvient pas, étouffée par son vert cercueil.

-« Cent queues ni tête non… Il ne peut en avoir que trois… »

Déjà une nouvelle tête poussait à cet endroit.

Chapitre 13 : La racine du mâle

Pendant que Léviathan et la deuxième tête de Cerbérus faisaient connaissance, Gabrielle fit un demi-tour énergique et gracieux vers Uriel.

-« J’en est assez de toutes ces interruptions, la victoire doit être mienne ! »

Elle déplissa alors son éventail de… cartes.
Les différents volets de l’appareil à faire de l’air ce scindèrent en autant de jeux de tarot ; la chiromancienne en tira une au hasard et sourit à sa vision.
Elle la retourna en direction de son adversaire.

-« La carte de "l'impératrice" est dans ma main, je vous prédis une défaite rapide mon cher ! »

Projetant sa main dans sa direction, le jeu lancé en un curieux tourbillon de cartes aux bords tranchants dans la direction du bouquiniste immobile, était comme l’armée mortelle d’un essaim terrifiant.
Pourtant il ne bougeât qu’au dernier moment, en plantant sa grand aile-épée dans le sol devant lui, il murmura quelques mots et avançât la paume libre et nue en direction des cartes.
Aussitôt les plantes exotiques qu’il avait crée dans la prison aquatique allongèrent leurs tiges et leurs faibles feuilles pour en faire la barrière de jonc épineux.
Le tourbillon de carte fit son massacre dans les jardins de Babylone, et du sacrifice suspendu une seule carte fit son chemin pour faire couler le sang d’une fine égratignure sur la joue droite du jardinier.
Uriel tenait entre l’index et le majeur de son unique main libre la carte traitresse qui avait fait l’entaille sur son épiderme parfait et halé.
Gabrielle regardait déçue toutes ces belles plantes maintenant coupée et étendue sur le sol qui avaient stoppés par leurs fidélités l’avancée carnivore de son jeu.
Elle regardait Uriel maintenant sans protection, le mince filet de sang sur sa joue, en train de rire en regardant la carte blessée.

-« Pourquoi riez vous ainsi ! Vous êtes sans défense aucune maintenant que vos plantes sont hors jeu… Vous avez bêtement enclavé votre épée dans le sol pour arrêter mes cartes… C’est donc la folie de la défaite qui vous guette ainsi ?

Uriel toujours souriant, tourna la carte qu’il avait entre ses deux doigts.

-« Non ce n’est pas possible… »

-« Et si ma chère, ceci est la carte de "la roue de la fortune"… Comme vous le savez elle indique une nouvelle orientation à ce duel ! »

-« Je ne vois pas en quoi cett… »

Sous ses pieds le sol se dérobait, Gabriele surprise s’éleva à la verticale en battant de ses ailes nacrées, fuyant ce qu’elle n’appréhendait pas encore.
Au dessous d’elle, sortirent du sol de longues racines sombres ; ces dernières comme des lianes vivantes fondirent sur elle pour l’attraper en plein vol.
L’entourant peut à peu dans leurs reflets sinueux, les racines vivantes firent de l’archange-chenille un cocon de liane suspendue au dessus du sol ; Gabrielle disparaissait à l’intérieur de cette prison, à mesure que l’emprise et les tours des racines se faisaient de plus en plus centripète.

Si on regardait plus attentivement, du sol où la terre s’était entrouverte, coulait une petite fissure en direction d’Uriel et de son épée plantée.

-« La racine d’une plante est comme la partie cachée de votre iceberg… Vous avez mal jugé des forces qu’il me restait ! »

Uriel s’apprêtait à fermer son ouvrage, en signe de victoire.
Mais il s’arrêtât…

Chapitre 14 : La théorie des humeurs

Le cocon de lianes vertes et sombres commençait à perdre progressivement de sa superbe en passant par toutes les couleurs de l’arc en ciel végétal ; de l’été flamboyant à l’hiver décevant, la prison végétative se desséchait à vue d’œil.
Gabrielle se libérait enfin échevelée de ce cimetière déshydraté, les cordes pâles s’écartant comme la noire peste de sa peau rose aux gouttes de rosées.
Le cocon en l’air devenait palmier.

-« L’organisme d’une plante est composée à majorité d’eau… »

De grosse gouttes coulaient sur la peau vampire de l’archange, alors que celle si repoussant une dernière liane, quitta l’arbre-racine pour venir se poser délicatement sur le sol.

-« Et moi qui avais une si grande soif !»

Derrière elle, le combat des titans se terminait dans une flaque de boue ; Léviathan l’esprit démoniaque de l’eau et Cerbérus le géant de terre à égale puissance, ne ressemblaient plus à rien du tout.
Déjà ce monticule de terre mouillé, dans son dos commençait à faire son gros pâté.

Uriel tourna une page de son livre sans images et récitât.

-« Quatre éléments sous le ciel, firent de certains anges des merveilles… D’après la théorie des humeurs du sage Hippocrate, nous sommes les biens nés des éléments hypocrites… »

Gabrielle mit le revers de sa main en face de son visage.

-« Mince, je crois que je me suis cassé un ongle ! »

Imperturbable, Uriel continuait sa lecture.

-« L’eau et le feu sont contraire, l’air qui se commence là où termine la terre, sont les extrêmes d’un cercle fol, où par deux ils se font face.

Elle laissait courir sur son corps ses mains froides.

-« Et ma belle robe qui est toute froissée… »

Egal à lui-même.

-« L’équilibre d’un élément repose donc sur ses voisins de cercle ! »

Agacée elle finit par lui lancer, fort à propos.

-« Vous pourriez au moins lever la tête de vos bouquins quand je vous parle de choses importantes qui me concernent ! »

Uriel la regardait maintenant d’un sourire mature, puis dans un claquement bref son livre se ferma, déclenchant une onde sismique de nature qui ébranla gentiment toute la tour.
Gabrielle qui avait à peine posé son pied sur le dallage, fut projetée malgré elle dans le tas de boue qui terminait la salle.
Elle vociféra.

-« Uriel, espèce de pervers, si vous vouliez un combat d’archange à demi nue dans la boue, il fallait me le dir… »

Une main sans arme s’offrait à elle, aussitôt elle se calma en relevant la tête ; Uriel magnifique et le sourire à la lèvre terminait.

-« Ce duel ne peut pas avoir de fin, accepteriez vous une égalité ? »

Elle passa une main gauche marécageuse dans sa chevelure désordonnée et bouclée, comme une petite paysanne assise sur le fumier d’un cochon qui se ferait relever par un prince charmant.
Elle lui souriait bêtement, son parfum était alors impuissant, écrasé par la vase des deux éléments ; puis lui tendit une main presque vierge de toute souillures à la main engageante.
Mais au lieu de se servir du bras d’Uriel pour se redresser, elle s’agrippa à lui, et le fit chuter avec elle dans la fange.

*Bruit de toussotement*

-« Bon… Maintenant j’accepte votre égalité ! »

Elle ne put garder son sérieux plus longtemps, et ils éclatèrent de rire comme des gamins malpropres.


(Dans les profondeurs de la tour, secouée par ce combat, un ange dormant se met à bouger de son sommeil magique qui se voulait immobile...)

Chapitre 15 : L’écho de la vérité

Après que la pièce eut reprise sa taille initiale, les traces boueuse, aqueuse, végétale et sismique du combat effacées, la table au milieu et ses quatre chaises particulaires retrouvèrent leurs places.
Gabrielle faisait une toilette sommaire dans ses vêtements négligés, à partir d’un léger filet d’eau qui lui courait entre les doigts ; Uriel de vouloir la pareille, se prit comme réponse mouillée, une trombe d’eau puissante qui ne manqua pas de le faire décoller.

-« Hum… puisque ce duel se solde sur une égalité, je ne suis pas convaincu de l’utilité de vous demander une vérité absolue. »

Gabrielle regardait Uriel, trempé jusqu’à l’os par ses soins avant de lui répondre, droit dans les yeux.

-« Si vous êtes un con…vaincu, je me voit mal en effet jouer avec vous au jeu de l’écho de la vérité. »

Elle déplissa les yeux, mais celui-ci de répondre.

-« Je suis quand même un gentlem-ange, je vous laisse donc me poser une question. »

L’archange de la terre se tenait à nouveau galamment devant elle, elle n’eut pas à réfléchir longtemps.

- « Et bien, par simple curiosité, écho de la vérité, je voudrais savoir "Qu'est-il advenu de Mnémosine ?"

-"Un certain Aiuran est arrivé en son nom sur cette partie du monde... Et peut-être plus près de vous que vous ne le croyez"

Devant la mine un peu perplexe de Gabrielle, il s’empressa de rajouter.

-« Je ne suis pas sur que ma réponse vous éclaire beaucoup, vous êtes songeuse ? »

*Aiuran, je n’ai pas souvenance d’avoir déjà couché avec lui !*

Puis brusquement interrompue dans ses palabres vespérales et végétatives.

-« Non, je ne connais aucun Aiuran, à ma connaissance… Je chercherais… »

Le juge surpris quand même un petit sourire coquin.

-« A vous maintenant, si le cœur vous en dit. »

Uriel ne voulait plus la forcer sur le sujet d’Adiel, où il voyait qu’il la gênait, aussi bien posa t’il une question plus capitale pour la suite de l’histoire.

-« Et bien, écho de la vérité, je me suis toujours demandé qu’elles étaient vos mensurations exactes ! »

Nouvelle trombe d’eau qui le fit décoller au plafond.

-« Une autre question ! »

Uriel voletant du plafond au sol, déployant ses magnifiques ailes dorées en métal.

-« Quel sont alors vos plans concernant la destination du planétérin ! »

L’astromancienne ne parut pas surprise par la brutalité de cette question, il était normal qu’au planétérin, beaucoup de rumeur la concernant circulent.

-« Dans peu de temps, notre cité céleste fera voile vers la capitale de cette région, que l’on appelle Tyllen ! »

L’archange qui avait en charge les armées céleste, autrement dit Gabrielle en l’absence de son jumeau de frère l’archange du feu, pouvait quand bon lui semble déplacer leur base milit-aile, parfois dans des intentions plutôt… militaires.

-« Et quelles sont vous intentions pour cette ville ? »

Elle fit venir à elle ses cartes de tarot, qui s’assemblèrent à nouveau en un éventail flambant neuf et flamand.

-« Cela mon cher, c’est une autre question ! »

Ils se regardèrent d’un regard.

*Pourquoi me demande-t-elle des informations sur son ancienne rivale !*

*Mais que diable voulait t’il faire de mes mensurations !*

*Notre duel n’est pas terminé !*

Petit mouvement d’éventail bien placé, et Gabrielle quitta la pièce avec un baisé.

[HRP : suivre Gabrielle dans "la clairière en cendre", au niveau de la forêt enchantée]

Chapitre 18 : les liens du sang

Il faisait nuit noir autour d’elle lorsque la belle élémentaire entre les nuages perlés transperçait de sa vision aqueuse les tours proches de la cité céleste.
Ses pensées étaient toutes tournées vers son frère, l’archange du feu prisonnier de son allié sombre et vert.

*L’ange du silence, autant de bruits qui me rappellent ma plus grande faute…*

Elle pensait délicatement à demain, dans la fraicheur d’un vent hautain, elle salua d’une main illusoire les deux anges gardiens qui partageaient son seuil.
Gravissant un à un les marches de l’escalier, et se rendit au sommet dans ses appartements de lune, pour brièvement se faire changer sa robe bleuté en un très léger négligé par sa servante quelque peu réveillée.

-« Tu peux disposer Océane, ta présence ne m’a que trop durée! »

La servante au poignet faible quitta la pièce sans un regard ni un mot.
Gabrielle assise dans une position qu’il n’est pas décent ici de rapporter, dans son lit en baldaquin éclairé par l’astre d’argent, faisait à voix haute une étrange requête.

-« Où sont donc passé mes anges gémellaires ! »

Elle soupira, comme elle le faisait souvent lorsqu’elle était seule et qu’elle se sentait abandonnée, mais bien mal à qui le lui ferait remarquer.

-« Nés de l’eau et du feu, l’un est comme l’air, évanescent à mes langueurs, l’autre vilain reste caché, encore trop relié à la terre et à mon cœur… »

Ses deux bras entièrement dénudés enserraient à la verticale et en hauteur, l’un des piliers de bois qui tenait le ciel carré.

-« Ce sont mes fils… d’Ariane, abandonnée sur une ile en pleine mère… »

Un de ses membres toucha le collier serpentaire, seul ornement de sa nuit solitaire.

-« Que les dragons se réveillent, d’argent et d’encre répondez à mon appel ! »

Autour de la prophétesse, des volutes aux couleurs changeantes, forçaient le tableau de la nuit.
Ses yeux se révulsèrent en une troisième pleine lune.

-« Libérez l’entrave de votre porteur, insinuez vous lentement dans leurs cœurs, je veux qu’ils me reviennent ! »

Après son incantation lâchée dans un râle sibyllin, la jeune femme en négligé, ses ailes de nacres à demi posés en total impudeur sur les draps à peines froissés, remplissait la pièce d’une terrifiante odeur, qui n’avait plus rien à voir avec son parfum chargé.

Une vision lui vient, elle se trouvait maintenant dans une église en face de cinq drôles d’oiseaux.
Et derrière le masque de l’un d’eux, les bras croisés et virils qu’elle reconnaitrait entre milles, son regard transposé cligna de surprise qu’elle en faillit perdre la claire représentation.

-« Mais que fait donc Lertène dans ce groupe d’histrions ! »

Chapitre 19 : Le non-rêve

Allongée sur son lit de satin, l’ombre de la lune disputant avec la beauté de son corps dénudé, Gabrielle une main vierge posé contre son cœur, s’agitait dans une transe onirique inhabituelle.
Elle avait quitté bien trop tôt sa vision dans l’Eglise, une douleur double et projetée dans son dos avait eut raison de toute la fatigue emmagasinée dans la journée…
Son duel contre l’archange Uriel, la visite inattendue de l’ange de la mort Azraël, le défi porté au roi orange Meecztow, son annonciation à la gardienne de la forêt enchantée Alia’ane.
Autant de visages qui se confondaient dans la nuée arbitraire de ses limbes nouveaux, qui l’enserraient avec grande peur dans ce drôle de berceau.

Une petite fille aux cheveux blonds et bouclés, tenait contre elle une poupée de coton, seule elle se promène avec circonspection dans l’univers étrange qui l’entourait.

*Suis-je dans un rêve ?*

Elle se trouvait dans une grande serre végétale, immense dont elle ne pouvait qu’imaginer les bords en verre blanc et dépolis qui donnaient à ce lieu magnifique une fausse impression de liberté.
L’enfant allait d’un endroit à l’autre, d’une fleur aux arbres centenaires, des boutons de roses aux herbes raffinés, elle paraissait de plus en plus ravie de ce rêve improvisé qui longtemps lui avait manqué.
Quand soudain au décours d’un sentier, une jeune elfe sortit de l’ombre d’un chêne.
Gabrielle prit peur sur le coup, mais la jeune femme accroupie à sa hauteur maintenant, lui gratifia d’un sourire à la fois triste et sans condition.

-« Fait bien attention à toi jolie enfant, cette serre n’est pas sûre pour quelqu’un de ton âge… »

Elle lui caressait la joue, puis soudain comme prise d’un doute et lui redressa la lèvre supérieure à la recherche d’une canine plus pointue que la normale.
Gabrielle n’était pas une poupée, aussi elle se dégageât de l’inconnue habillée légèrement, ses yeux distraits un moment par un bijou qui pendait sur son ventre.
La jeune femme eut à nouveau un sourire triste, puis elle disparut.

Après quelques minutes immortelles et intemporelles, Gabrielle qui appuyait avec peine sur ses petits membres pour fuir la belle inconnue se retrouva au beau milieu d’un champ de culture.
Elle s’approcha d’un petit écriteau où on pouvait lire.



Tout à coup, sa peluche se mit à lui parler.

-« Cueilles moi une carotte Gabby, j’ai très faim… »

Gabrielle regardait son petit lapin en peluche, mais celui-ci ne bougeait pas, la voix semblait venir à l’intérieur de sa tête, comme par télépathie.

- « On dit cueilles moi une Daucus carota, et on n’oublis pas le mot magique lapinou !»

-« S’il te plait Gabby, j’ai très faim… »

Gabrielle posa son lapinou sur la terre, et commença à tirer sur les phanes du légume particulier.

-« Dépêches toi, où sinon c’est toi que je vais finir par manger.. »

L’enfant tira de plus belle, une goutte de sueur sur son front coulait, quand soudain une grosse ombre vient couvrir son effort de jardinage.
Elle leva ses petits yeux bleu-vert pour découvrir au dessus d’elle un homme immense à la peau mate qui tenait une grande faucille à la main.

-« Je te tiens, petite voleuse de carottes, le jugement sacré des dieux m’autorise maintenant à appliquer ma sentence. »

Un aboiement derrière se fit entendre, Gabrielle poussa un cri très aigue qui eut pour don de faire lâcher sa faucille au fermier, et lui faire mettre ses deux mains à ses tempes grisonnantes.
L’enfant se redressa sur ses petites pattes, et s’enfuit de nouveau loin de son bourreau.
Elle passa devant son lapin en peluche.

-« Méchante fille, je vais te manger toute crue… »

Elle ne s’arrêta pas pour le ramasser, tellement qu’elle avait peur.
Elle entendit derrière elle l’ordre du paysan.

- « Va donc Cerbérus, attrape moi cette sale voleuse de carotte ! »

Les bruits du chien lancé à ses trousses, Gabrielle ne semblait plus s’arrêter de courir, coursée par une menace constamment invisible, mais qui elle en était certaine, pourrait planter ses crocs dans ses mollets si elle faiblissait.
Entres les arbres de couleurs, elle finit par entrer dans une clairière, ou un homme seul semblant sortir de nulle part, fixait avec contemplation un jeu d’échec.
Relevant brusquement sa tête de sa partie, il déclara.

-« Et bien voilà enfin mon adversaire, je commençais à trouver le temps long… »

Gabrielle s’arrêtât pour reprendre son souffle avant de débiter.

-« S’il vous plait monsieur, je suis poursuivie par un méchant chien ! »

-« Un chien, mais quel chien ? »

En effet les bruits du meilleur ami de l’homme qui ne quittaient plus sa tête, disparurent instantanément aux mots rassurant du joueur d’échec, comme si le seul fait de penser d'être poursuivie, alimentait sa propre psychose.
La rêveuse se posa alors, prêt du jeu intrigant dont elle connaissait toutes les règles.

-« Mon frère aime bien ce jeu, c’est lui qui m’a apprit à jouer, il s’appelle Feyde et je l’aime très fort.

-« Un petit frère, mais où vois tu un petit frère ? »

L’homme avait un étrange bijou sur son front, Gabrielle qui n’avait plus sa peluche pour elle, avait grande envie de le toucher.

-« C’est quoi monsieur le bijou que vous portez sur votre front ? »

-« Un bijou, mais de quel bijou parles tu ?

L’homme restait concentré sur la partie d’échec, dans laquelle Gabrielle avait par politesse et curiosité ajouté quelques coups.
Il était inquiétant à sa façon de lui répondre, aussitôt elle se releva, lui fit une petite révérence ridicule et se congédia elle-même.

-« Tu ne veux pas terminer la partie avec moi ? Pas grave, j’attendrais qu’un autre adversaire vienne le faire pour moi… Mon grand père est fermier dans le coin, il faudra que je lui demande un jour… »

Gabrielle se remit à courir, ne cherchait plus à entendre les paroles du joueur étrange.
Après quelques temps, elle se retrouva devant une petite serre, dans la serre immense qu’elle parcourait depuis des heures.
L’ouvrage était soigné, comme peint de la veille, d’une blancheur immaculée.
L’enfant entra, et au milieu de la serre minuscule il y avait une jolie cage en fer blanc.
S’approchant encore, dans la petite cage, on pouvait voir un magnifique papillon, avec pleins de couleurs, qu’il était difficile pour Gabrielle de toutes les compter.
Elle posa ses petites mains sur les rebords de la cage, les yeux comme hypnotisés par les battements de l’insecte, qui ne semblait lui dire qu’une seule chose.

Libère-moi !

Chapitre 20 : Les spectres et le papillon

Gabrielle regardait avec avidité le beau papillon aux reflets irisés et changeants, alors qu’elle essayait de ses petits doigts agiles et boudinés, d’attraper de l’extérieur curieux ces appendices merveilleux pour une enfant, au travers des barreaux de fer blanc geôlier de l’insecte, qui lui garantissaient néanmoins une sureté face à l’empressement de la petite exploratrice.
Celle-ci cependant s’arrêtât, lorsque dans la serre miniature autour d’elle, une présence et un mouvement transparent la prit comme à la gorge, l’englobant totalement.
En fait-il s’agissait d’une ombre ou d’un spectre prévenant, qui ignorait l’archange rêveuse, et qui la transperçait pour se diriger vers la cage-papillon.
Gabrielle s’écartât donc de ce contact trop intime et effrayant, et qu’elle ne fût pas sa surprise de voir comme le fantôme d’une belle ange, qui s’affairait autour de la prison qu’elle n’arrivait pas à ouvrir faute de passe-partout.
Elle avait des cheveux argentés et était très belle, on voyait le papillon aux travers des mouvements sa robe translucide, et à son poignet droit un curieux bandage protégeait son articulation, une clé petite et belle brillait dans sa main fine.
Gabrielle était jalouse des formes de l’ange adulte qui tournait amoureusement autour du petit papillon, elle qui était si petite ne pouvait pas libérer le bel insecte ; après avoir dansé autour de la cage, la femme ange telle l’océan, enserrât la petite porte en fer blanc, et libérât l’écume d’un mouvement de sa petite clé volée, livrant des bulles d’ailes et d’éphémères beautés.
Le petit papillon tournoya un instant autour de la belle jeune femme, puis s’éloigna de la serre et d’elle, passa tout prêt de Gabby qui essaya de l’intercepter en vol, sans succès, pour finir sa course au niveau de la main masculine cette fois d’un autre spectre qui avait fait son apparition à l’entrée de la serre.
C’était un jeune elfe blond, il sourit devant la belle engeance qui lui faisait les faveurs qu’il privait des deux femmes de la pièce étouffante.
Il rigolait, le papillon aux larges ailes déployées sur son nez le chatouillait, et Gabrielle avait envie de pleurer à les voir ensembles, elle comprenait et sentait toute la solitude accumulée entre les différents tableaux qu’elle avait traversée dans ce rêve conduit par une main si familière…

*Adiel…*

Une main invisible justement se posa sur son épaule, c’était celle de la femme ange qui partageant sa peine de voir le beau papillon qu’elle avait libérée, flirter en rêve avec le spectre masculin.

-« Ne vous en faites pas maîtresse, je vous trouverais un autre papillon avec lequel vous pourrez jouez… »

Gabby fronçât les sourcils comme une petite fille têtue et contrariée.

-« Je ne veux pas d’autres papillons, je veux celui là ! »

Elle pointât son petit doigt en direction du couple contraire à la nature.

-« Maîtresse soyez raisonnable… »

-« C’est pour les adultes la raison, et je ne veux plus être grande ! »

-« Maîtresse réveillez-vous ! »

-« Quoi encore ? »

Gabrielle ouvrit ses yeux bleu-vert sur sa chambre, il était le matin aux fenêtres constamment ouvertes, prêt d’elle sa servante Océane assise à moitié sur le lit en baldaquin lui secouait les deux épaules comme pour un réveil musclé tout en douceur…
Voyant les deux grandes orbites ouvertes de l’archange qui lui lançait des éclairs, murènes prête à fondre sur sa proie insouciante et imprudente de la réveiller ainsi ; Océane qui avait fait un effort sur elle-même pour la lever de cette façon, se redressa à la verticale pour quitta l’oraison des draps et d’ajouter sûre de sa bonne foi.

-« Vous avez insisté pour être réveillée sans fautes à l’aube, comme vous ne répondiez pas à mes appels, j’ai dut employer d’autres moyens… »

Gabrielle grogna, à cet instant on aurait put la voir ronchonner comme une adolescente qui s’en retournerait s’enfouir dans sa grotte de dessous de lit.
Cependant, contre mauvaise grâce, elle s’étira, féline hors de son domaine contre l’oubli de la nuit et la langueur du soleil coquin sur sa peau de nacre.

-« Je faisais un rêve merveilleux… »

Mentit-elle.

Océane pénétra dans les appartements de Gabrielle d'une démarche flottante. Vêtue de velours mauve aux dentelures blanches elle toqua à la porte de sa maîtresse. Sa coiffe de servante se terminait par un chignon traditionnel. Elle avait mis une demi-heure pour que ses cheveux soient parfaits.
Elle frappa avec insistance. Gabrielle aurait du l'entendre?... Elle toussota. Calme plat. S'assurant que personne ne regardait, elle donna un coup qui fit échos aux appartements de Gabrielle. Silence lancinant. Océane perdit patience et se permit d'entrer.
C'est avec une certaine consternation que la Séraphine découvrit Gabrielle dans son lit, endormie d'une manière peu charmante. Sa maitresse ronflait, un filet de bave au coin des lèvres. Océane ouvrit les rideaux. La lumière inonda la pièce aux atours royaux. Gabrielle avait du goût, mais continuait sa sieste grossière.
Quelque peu agacée, Océane rumina :

- Maîtresse. Maîtresse...!

Gabrielle pionçait comme une enfant. Océane haussa le ton.

-Maîtresse!...

Devant cette femme qui jouait La Belle aux Bois Dormants à merveille, Océane fronça les sourcils. Elle s'assit sur son lit défait. Gabrielle avait le sommeil agité parfois. Soupirant, elle lui pinça le nez délicatement. Sa maîtresse poussa un râle mécontent et lui flanqua une baigne.

- Papillon!...

Océane porta sa main à sa joue endolorie.

"Papillon?!... A croire qu'elle a consommé des produits illicites!... Qu'ais-je fait pour mériter une supérieure pareille!?... Enfin, c'est moi qui l'ai souhaité. Je ne dois pas me plaindre. Je dois la réveiller sinon elle se plaindra d'être en retard...

Océane fulmina, pris les épaules satinées de la dormeuse, enserra sa prise et... la secoua comme un prunier bien mûr!...

- Réveillez-vous! Maîtresse! Maîtresse réveillez-vous!

- Quoi encore?

- Vous avez insisté pour être réveillée sans faute à l’aube, comme vous ne répondiez pas à mes appels, j’ai du employer d’autres moyens…

- Je faisais un rêve merveilleux...

Océane eut un regard en biais.

- Je n'en doute pas...

Gabrielle s'étira avec un geste félin qui lui ressemblait bien. Elle regarda Océane d'une étrange façon. Cette dernière ne comprit pas pourquoi et se tendit intérieurement. Se pouvait-il que...

- Fais ma toilette je te prie. Je suis déjà assez en retard.

"Et sa majesté ose se presser après avoir dormi comme une masse... Qu'elle me permette donc cette simple remarque..."

- Maîtresse, permettez que je nettoie ce filet de bave qui pend à vos lèvres.

Gabrielle s'empourpra en sentant le liquide à la commissure de sa bouche. Elle s'essuya d'un revers de main. Son humeur s'assombrit alors et Océane du le supporter tant bien que mal.
Elle retira une robe pourpre de la garde-robe de sa maîtresse. Avec une délicatesse calculée, elle enveloppa le tissu sur la peau de Gabrielle une fois que cette dernière ôta la soie qui la drapait pour la nuit.
Les doigts d'Océane fermaient les lacets qui ceintraient les courbes de l'Archange de l'Eau. Des lacets noirs en dentelle fine qui prenaient du temps à s'apprivoiser.
Océane fit asseoir sa maîtresse. Elle fit glisser une feuille qui déversa un lait doucereux sur sa peau. Puis une lotion. Et enfin un onguent. Gabrielle péférait prendre ses bains le soir venu. Le halot de la lune rafraîchissait sa peau.
Océane tira une brosse d'un tiroir qui sertissait le valet de nuit de Gabrielle. Un miroir reflétait la beauté de cette femme splendide et ambitieuse. Apparut à son tour le reflet d'Océane. Toutes deux encadrées dans ce verre lisse, Océane commença à brosser la chevelure de sa supérieure. Des cheveux soyeux qui avaient une odeur marine... Gabrielle gardait un sourire triomphant qu'Océane ne cherchait même pas à interpréter. Les rêves qui l'avaient hantée la nuit précédente résonnaient encore avec effroi dans son esprit. Elle entreprit de tresser une partie des cheveux neigeux de Gabrielle. Elle les rattacha en arrière, ils retombèrent en cascade étincelante.
Gabrielle semblait satisfaite.

- Il est l'heure de déjeuner. J'aimerais que tu me tiennes compagnie.

- Il est rare que vous souhaitiez ma présence lors de vos festins.

- Effectivement. Mais cela me ferait plaisir.

Le coeur d'Océane vacilla. Ainsi Gabrielle appréciait sa compagnie?... Une joie effacée par le temps s'empara d'elle.

- Vous m'honorez.

Gabrielle esquissa un sourire bienfaisant qui toucha Océane. Elles s'attablèrent. Des pâtisseries de luxe ornait la longue table que Gabrielle prenait plaisir à dévorer avec appétit. Océane servit le thé pour elles deux. Puis elle s'assit près d'elle.
Gabrielle parlait de banalités sans grande importance. A un moment précis, elle fit tomber sa bague par terre.

- Oh, ma bague!...

Océane s'affaissa pour aller l'attraper sous la table. A cet instant prémédité, Gabrielle versa un liquide étrange dans la tasse de sa servante. Océane tendit le bijou avec un sourire innocent.

- Tenez!

Gabrielle jubila intérieurement.

- Merci beaucoup Océane. Que ferais-je sans toi?

Alors c'était certain?... Gabrielle tenait à elle? Sincérement? Malgré son mauvais caractère et ses idées quelque peu hors du commun, elle avait donc du coeur!... Océane se sentit comblée à cet instant.
Elle se rassit et plongea ses lèvres dans la tasse offerte si généreusement par...
Que se passait-il...?
Le thé avait soudain.... un goût étrange...?
Ses mains tremblèrent alors...
Une sensation déplaisante s'empara d'elle. Gabrielle but une gorgée, les jambes croisées, la regardant sans nulle inquiétude.
Le coeur d'Océane accéléra...

"Que m'arrive-t-il?... Pourquoi ne bouge-t-elle pas?..."

L'effroyable vérité s'immisça dans ses pensées... Elle l'avait prévu...
Une nausée grandissante l'anéantie... Elle ferma sa paume. Elle avait changé... Elle se contempla...
Elle était un homme.
Refoulant une larme, elle comprit qu'elle venait de se faire trahir... une nouvelle fois...

Chapitre 21 : la métamorphose

Gabrielle sirotait avec calme et maitrise des bonnes mœurs son breuvage exempt de la potion de poly-nectar qu’elle avait sut habillement glisser dans la tasse de sa servante, trop naïve sans doute par cette prise à partie théâtrale et peu habituelle à sa table matinale.
L’archange de l’eau savait garder ses distances avec son personnel, surtout lorsque celui-ci était féminin ; non pas par pur défit envers une quelconque rivale potentielle, même si elle savait lui accepter le charme et la candeur dont elle faisait cruellement état en sa présence, mais les hommes pour Gabrielle ne présentent en généralement pas de problèmes…
Elle eut une pensée fugace pour Draal, l’ange du gel envoyé en mission pour qui elle restait désespérément sans nouvelle, elle haussa de manière perceptible son sourcil gauche...

*Même lui ne serait pas tombé aussi facilement dans mon stratagème. Elle ne peut pas être si bête, c’est une femme…*

Face à elle, Océane tremblait comme une feuille morte, et après cet automne mouvementé qui lui défit son chignon, l’hiver de ses cheveux argentés se raccourcissant sur ses épaules charmantes virait au blond prévenant d’un été en approche.
Dans sa belle tenue mauve, son corps en métamorphose tirait sur les coutures et les dentelles immaculées, la pomme mure toute prête à être cueillit offrait la branche de son cou aux regards de l’astromancienne.
Les yeux gris azurs, pleuraient presque leurs couleurs changeantes comme la tempête contenue et envoutante qui se déroulait dans sa tête ; les remous et les vagues dans sa tenue chamboulée acquirent des formes nouvelles, abandonnant leurs féminités pour des muscles bien mieux dessinés…
Voyant qu’elle était proche de craquer, l’empoisonneuse posa sa main sur ses lèvres peintes avec soin par Océane, comme si le thé qu’on lui avait servi était trop chaud, et elle lui déclara en posant la tasse coupable sur le guéridon.

-« Ne vous mettez donc pas dans tout vos états ma chère… »

Elle sourit et s’arrêtât, comprenant sa bévue lexicale, en rien rassurante et compréhensive de la perdition mentale et psychique de sa servante dans ce corps violé par sa magie, jusqu’au plus profond de son sexe...

-« Je voulais dire, mon cher… prince Färvien ! »

Elle agitait un petit éventail devant sa bouche, mais comme la tête que tirait le soit disant prince dans sa robe mauve bien trop courte pour lui à chercher des seins qui n’étaient plus là , virait proche de la crise de larme ; Gabrielle se dressa enfin de son fauteuil d’orgueil, prit Océane par la main et se positionna derrière elle en face du miroir tout en pied proche de sa commode.

-« Regardes-toi ! »

L’emploi de ce mode familier proscrit par l’étiquette et le contact intime avec Gabrielle contre son dos qui déchirait par endroit la toilette violette, permirent à Océane toujours muette de reprendre de la consistance dans ce corps étrange, elle posa sa main droite sur sa joue et la glace lui rendit son reflet explorateur.
Gabrielle tira alors avec douceur et fermeté sur les dernières coutures restantes, et la robe ridicule termina sa course sur le sol atterré.
L’archange presque collée à son dos dépourvu d'ailes, glissa alors une main sensuelle sur le corps du faux prince Färvien, dégrafa avec l’habileté d’un homme les sous vêtements d’Océane en faisant couler ses doigts contre ses hanche, la culotte en dentelle mauve également sur le plancher succomba.
Océane était nue à présent, et apprivoisait son nouveau corps dans la glace insolente.
Le parfum envoutant de la petite pièce cocon, enclavait l’homme nouveau dans sa propre contemplation, et lorsque Gabrielle brisa le lien rétinien que le reflet avait sur son auteur, en face de lui les mains posées sur son torse elle fit son apparition.

-« Océane… »

Et elle l’embrassa sur la bouche…

Océane trembla comme une feuille d'automne étiolée par le vent... Son âme violée dans ce corps étranger la figeait dans une émotion nouvelle...
Elle ferma ses mains. Glissa ses doigts sur son torse désormais privé de poitrine...
Son coeur se mit à battre plus fort...
Elle reconnaissait le reflet de Färvien dans le miroir qui reflétait ce corps méconnu. Elle l'avait vu en rêve durant la nuit... Une anxiété la convulsa... Pourquoi arborait-elle cette apparence qu'Adiel lui avait révélé?... Pourquoi?...

Dans une moue inexpressive, elle contempla Gabrielle la dévêtir et brusquement, l'embrasser... Une larme roula sur sa joue. Ce corps étrange se galba. Elle sentit un membre masculin prendre du volume.
Tétanisée dans un état second, elle plongea dans un état de torpeur l'espace de quelques instants. Ses yeux transpercèrent sa maîtresse tel un acier tranchant qui chercherait à fouiller dans sa chair...

Ses pensées fuyèrent cet acte qui venait de la souiller jusque dans les tréfonds de son être...

Elle songea à Adiel... Imprégnée de cet amour qui pourrait peut-être la sauver de ses tourments...? Adiel... Près de lui... Se perdre dans la magnificience de son aura... Son parfum mystérieux, qu'elle n'arrivait pas à définir... Ce sourire bienveillant qu'il lui avait esquissé dans la pâleur de la nuit... Cette voix qui faisait échos à ce qu'elle avait imaginé... Bercée dans son rêve...
Océane ouvrit les yeux. Un liquide chaud et blanchâtre avait coulé sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle fut aspergée d'une haine meurtrière, mais ravala ce besoin de meurtre. Elle ravala sa colère, empoigna Gabrielle avec les mains de Färvien. Et la plaqua contre un mur avec des yeux assassins qui intimidèrent sa proie. Cette force ne provenait pas du corps frêle de cet humain, mais d'une colère glaciale qui l'avait habitée autrefois... Gabrielle tressaillit au contact de cette violence qui contenait ses poignets dans un étau de haine. Ces volutes malsaines qui auréaulaient cette apparence désirée la mettaient mal à l'aise...
Elle eut du mal à respirer l'espace de quelques battements de coeurs. Un plissement de paupières... Un sentiment de panique qu'elle n'avait encore jamais ressenti...
Alors qu'Océane intimidait son bourreau, l'esprit vengeur ; ses pensées voyagèrent...

"Je vais survivre pour toi... je vais supporter cette traîtresse grâce à tout ce que tu m'apportes, Adiel... Je dois tenir bon. Mes jours seront abjects. Mais mes nuits seront douces, si tu parviens à me faire oublier ce passé qui pèse sur mes épaules..."

- Je t'écoute... Gabrielle...

L'archange de l'eau s'enfuit de cette étreinte empreinte d'une folie insoupçonnée. Elle masqua son tremblement en passant une main faussement nonchalente dans sa chevelure quelque peu hérissée.

Chapitre 22 : Les premiers seront les derniers

S’écartant de la violente, la rose rouge une main en peine contre sa tempe, tempérait le rejet et la haine de la fille océan ; c’était Gabrielle à présent qu’on voyait trembler face à ce vent fracassé contre son corps et ses poignets chargés d’orfèvres, de regards plein de peines et d’incroyables monstruosités dans le ton employé qui heurtait comme l’écume sur la grève naissante, le pavillon de son oreille rose de honte.
Elle fit courir jusqu’à son cou blafard et battante carotide cette main parkinsonienne, les yeux de sa servante restaient identiques à chacun de ses mouvements aqueux, mué par un courant invisible qui la mura interdite un moment devant la commode en bois peint.
Son autre se posa alors sur les ciselures de l’ouvrage rassurant par son contact inanimé, Gabrielle mesurait t’elle alors l’ampleur de sa débâcle sectatrice, à vouloir faire d’un homme nouveau son jouet habituel, elle restait spectatrice face à la nudité devenue presque gênante du méta-morphe bandant.
Ce rejet, cette haine inscrite au plus profond de son cœur de verre, qu’elle cachait à double tour dans des caves gelées, les plus sombres des recoins de son âme concupiscente, cette recherche de passion à tout prix, à tout corps, sans penser à l’amour qui la faisait tant souffrir, et dont elle se protéger par le luxe à l’usure, la luxure qui ne rêve plus de demain que dans la vision future d’un univers bien à elle, ou elle en serait la reine, l’arène de sa passion coupable pour le sexe et le drame, inceste qui l’avait poussée dans les bras d’Océane comme le ver jeté en mer accroché à un hameçon d’argent promesse du baiser mortel d’un poisson, poison dans ses veines cacochymes exécutant lentement son ouvre…
Ce rejet donc disais-je n’était pas sans lui rappeler celui d’Adiel.

Une larme unique et horrible perla alors pour figurer sa peine, maltraitant ainsi le travail de maquillage pour venir s’écraser sur le sol, elle détourna en cette simple note sa nuque dégagée, et s’accroupit en face du meuble comme pour devenir petite fille jouant à cache-cache en se demandant si dans l’un des tiroirs elle ne pourrait entrer.
Elle en sortit alors un ensemble jonquille et dentelle, des collants et une paire de brodequins bruns qu’elle avait prévue pour l’occasion.
Elle n’avait toujours pas dit un mot, les maux précieux étaient encore coincés dans sa petite gorge étranglée par le bijou serpentaire, véritable rubis mouvant qui brillait toujours d’une manière inquiétante, contrastant avec le calme attristé et difficilement feint qu’elle offrait aux yeux marins.
Les rôles semblaient délicieusement échangés, Gabrielle parait le faux flasque Färvien de ses nouveaux atours jonquille ; ce dernier partagé entre sa haine d’avoir été trahit, et la surprise d’avoir vu sa maitresse pleurer, enfilait les dentelles sans mauvaise grâce mais avec beaucoup de ressentiments qui plombaient la pièce aérée.
Devant le miroir, c’était Gabrielle qui coiffait sa servante, passant avec attention le peigne d’argent dans ses nouveaux cheveux blonds irisés, hérissés à son contact familier mais appliqué à ne pas toucher son épiderme, mais juste ses phanères dorés.
Puis lorsque ce silence fût insupportable pour elle, elle commençât d’une voix monocorde.

-« Océane, je suis désolée d’avoir eut à employer cette artifice, mais j’ai besoin de vous pour une mission cruciale que je ne me voyais confier à aucun autre ange de ce paradis perdus, et je ne voulais pas essuyer de vous un refus… »

Océane haussa un sourcil très Färviennesque dans le reflet de la lune-miroir, on sentait qu’elle allait encore s’agiter, lorsque Gabrielle posant le peigne sur la table devant elle.

-« Vous avez l’apparence du prince Färvien, votre tâche est de vous faire passer pour lui dans Tyllen, afin d’infiltrer ces rues qui un jour bientôt seront miennes… »

C’était une marque de confiance inouïe pour Océane que sa maitresse se livre ainsi, elle comprenait implicitement l’intérêt de sa position nouvelle face à l’archange avec qui elle n’avait entretenue jusqu’alors que des relations de bassesses.

-« Je n’ai confiance qu’en vous, petite ange de la mer… »

Il y avait dans cette phrase dernière, l’écho et l'accent métronome du dragon inquiétant qui se faisait appeler Léviathan.
Puis singulièrement la curieuse oppression s’échappa, et Gabrielle seule et comme si de rien n'était continua.

-« Bien levez vous à présent, et montrez moi si vous avez compris, comment un prince bouge, s’exprime, et vit ! »

Le visage d’Océane s’était calmé, et derrière le masque de Färvien, Gabrielle comprit que depuis le début du matin, elle venait enfin de marquer avec elle son premier point.

-« Plus naïf le regard, l’intelligence et l’esprit n’ont pas lieu à la cour… »

Le prince pissenlit et l’archange rouge s’échangèrent alors un sourire tour à tour.

Assise devant ce miroir qui reflétait ce visage masculin, Océane ressentit la douceur des mains de Gabrielle passer un fin peigne d'argent dans ses cheveux dorés bien trop courts pour elle.
Ses lèvres entrouvertes, elle écouta les paroles de l'archange.

- Océane, je suis désolée d’avoir eu à employer cet artifice, mais j’ai besoin de vous pour une mission cruciale que je ne me voyais confier à aucun autre ange de ce paradis perdu, et je ne voulais pas essuyer de vous un refus…

Océane sourcilla. Elle espérait cacher son trouble de cette manière... Finalement, Gabrielle lui ressemblait... Ce chagrin dissimulé... S'était-elle trompée? Gabrielle semblait souffrir de quelque chose qu'elle n'arrivait pas à définir... Comme un sentiment... de donner sans rien avoir en retour?...

- Vous avez l’apparence du prince Färvien, votre tâche est de vous faire passer pour lui dans Tylen, afin d’infiltrer ces rues qui un jour bientôt seront miennes…

Océane comprit la démarche de sa maîtresse. Et puis, cette façon d'expliquer, non, d'imposer ses ambitions... Au cas où elle aurait refusé... Bien sûr qu'elle aurait refusé... Elle aurait même aimé lui faire boire de force... Pour voir sa tête ensuite...
Quoique, dans sa perversité... Et puis... oui, elle serait anéantie... forcément... Ensuite, il faudrait acheter des vêtements neufs... Et qui devrait s'en charger encore une fois?...

- Attendez. Que se passera-t-il si je croise le vrai Prince Färvien?

- Cela n'arrivera pas. Vous ne rencontrerez aucun problème.

Peu convaincue, Océane laissa à Gabrielle le soin d'ajuster sa dernière manche.

- Bien...

Dans un mouvement de tête, Océane sortit de sa réflexion. Il fallait qu'elle se conduise comme son modèle. Apparemment, le Prince Färvien avait un sourire de benet qu'elle avait du mal à esquisser.
Elle eut un rictus ridicule pour imiter cette expression étrangère à ses habitudes. Gabrielle eut un petit rire cristallin. Océane bredouilla quelque chose.

- Ah oui, là tu lui ressembles un peu!

Océane esquissa un faible sourire. Elle voyait quel genre de personne était le Prince. Elle trébucha volontairement.

- Et là, ça lui ressemble?

- N'en fais pas trop tout de même!...

Gabrielle essuya une larme de rire au coin de son oeil aux cils finement maquillés. Dumoins ce qu'il en restait. Océane admira soudain sa maîtresse. Elle semblait forte. Mais en réalité, la séduction était sa seule arme. Elle le comprenait brusquement. Une femme vulnérable qui avait dû souffrir plus que de raison...
Elle gasouilla :

- Et si j'emploie un langage familier avec des répliques dépourvues d'intelligence, vous pensez qu'on me croira plus facilement?

- Très certainement Océane.

- Enregistré. C'est parti!...

Elle replia son avant-bras avec un héroïsme calculé et gémit faussement :

- Oh, je me suis fait une tendinite!

Gabrielle pouffa de rire.

- Océane, tu en fais trop!

La servante sourit. Elle escomptait bien décocher un sourire à sa supérieure.